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À LA DÉRIVE

C’était Hercule, en effet, qui, cinq jours avant, avait bondi sur le savant, au moment où, après avoir été entraîné à deux milles de la factorerie, celui-ci courait à la poursuite de sa précieuse manticore. Sans cet incident, ni Dick Sand ni le noir n’auraient connu la retraite de Mrs Weldon, et Hercule n’eût pu s’aventurer à Kazonndé sous la défroque d’un magicien.

Pendant que la barque dérivait avec rapidité dans cette partie resserrée de la rivière, Hercule raconta ce qui s’était passé depuis sa fuite au campement de la Coanza ; comment il avait suivi, sans se laisser voir, la kitanda où se trouvaient Mrs Weldon et son fils ; comment il avait retrouvé Dingo blessé ; comment tous deux étaient arrivés aux environs de Kazonndé ; comment un billet d’Hercule, porté par le chien, avait appris à Dick Sand ce qu’était devenue Mrs Weldon ; comment, après l’arrivée inattendue du cousin Bénédict, il avait essayé vainement de pénétrer dans la factorerie, plus sévèrement gardée que jamais ; comment, enfin, il avait trouvé cette occasion d’arracher sa prisonnière à cet horrible José-Antonio Alvez. Or, cette occasion s’était offerte ce jour même. Un mgannga, en tournée de sorcellerie, — ce célèbre magicien si impatiemment attendu, — vint à passer à travers cette forêt dans laquelle Hercule rôdait chaque nuit, épiant, guettant, prêt à tout. Sauter sur le mgannga, le dépouiller de son attirail et de son vêtement de magicien, l’attacher au pied d’un arbre avec des nœuds de liane que les Davenport eux-mêmes n’auraient pu défaire, se peindre le corps en prenant le sorcier pour modèle, et jouer son rôle afin de conjurer les pluies, tout cela avait été l’affaire de quelques heures, mais il avait fallu l’incroyable crédulité des indigènes pour s’y laisser prendre.

Dans ce récit, rapidement fait par Hercule, il n’avait point été question de Dick Sand.

« Et toi, Dick ? demanda Mrs Weldon.

— Moi, mistress Weldon ! répondit le jeune novice, je ne puis rien vous dire. Ma dernière pensée avait été pour vous, pour Jack !… J’ai vainement voulu rompre les liens qui m’attachaient au poteau… L’eau a dépassé ma tête… J’ai perdu connaissance… Lorsque je suis revenu à moi, un trou perdu dans les papyrus de cette berge me servait d’abri, et Hercule, à genoux, me prodiguait ses soins !

— Dame ! puisque je suis médecin, répondit Hercule, devin, sorcier, magicien, diseur de bonne aventure !…

— Hercule, demanda Mrs Weldon, dites-moi comment avez-vous pu sauver Dick Sand ?

— Est-ce bien moi, mistress Weldon ? répondit Hercule. Le courant n’a-t-il