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LES SURVIVANTS DU WALDECK

le flanc ; mais il ne devait pas couler, l’eau n’ayant envahi la cale que dans une proportion insuffisante.

Quant au capitaine et à l’équipage du Waldeck, tous avaient disparu, soit que les uns eussent été précipités dans la mer, soit que les autres se fussent accrochés aux agrès du navire abordeur, qui, après le choc, avait fui pour ne plus revenir.

Les cinq noirs étaient restés seuls à bord, sur une coque à demi chavirée, à douze cents milles de toutes terres.

Le plus vieux de ces nègres se nommait Tom. Son âge, aussi bien que son caractère énergique et son expérience souvent mise à l’épreuve pendant une longue vie de travail, en faisaient le chef naturel des compagnons qui s’étaient engagés avec lui.

Les autres noirs étaient des jeunes gens de vingt-cinq à trente ans, qui avaient noms Bat[1], fils du vieux Tom, Austin, Actéon et Hercule, tous quatre bien constitués, vigoureux, et qui auraient valu cher sur les marchés de l’Afrique centrale. Bien qu’ils eussent terriblement souffert, on pouvait aisément reconnaître en eux de magnifiques échantillons de cette forte race, auxquels une éducation libérale, puisée aux nombreuses écoles du Nord-Amérique, avait déjà imprimé son cachet.

Tom et ses compagnons s’étaient donc trouvés seuls sur le Waldeck, après la collision, n’ayant aucun moyen de relever cette coque inerte, sans même pouvoir la quitter, puisque les deux embarcations du bord avaient été fracassées dans l’abordage. Ils en étaient réduits à attendre le passage d’un navire, tandis que l’épave dérivait peu à peu sous l’action des courants. Cette action expliquait pourquoi on l’avait rencontrée si en dehors de sa route, car le Waldeck, parti de Melbourne, aurait dû se trouver beaucoup plus bas en latitude.

Pendant les dix jours qui s’écoulèrent entre la collision et le moment où le Pilgrim arriva en vue du bâtiment naufragé, les cinq noirs s’étaient nourris des quelques aliments qu’ils avaient trouvés dans l’office du carré. Mais, n’ayant pu pénétrer dans la cambuse, que l’eau noyait entièrement, ils n’avaient eu aucun spiritueux pour étancher leur soif, et ils avaient cruellement souffert, les pièces à eau, amarrées sur le pont, ayant été défoncées par le choc. Depuis la veille, Tom et ses compagnons, torturés par la soif, avaient perdu connaissance, et il était temps que le Pilgrim arrivât.

  1. Bat, abréviatif de Bartholomée.