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de trois russes et de trois anglais

les instruments et quelques vivres sur la rive droite. Des marins expérimentés étaient nécessaires pour diriger le canot de caoutchouc, et Nicolas Palander céda sa place à l’un des Anglais du Queen and Tzar, beaucoup plus utile en cette circonstance que l’honorable astronome d’Helsingfors.

Un rendez-vous ayant été convenu au nord du rapide, la caravane commença à descendre la rive gauche sous la direction du chasseur. Bientôt les derniers chariots eurent disparu dans l’éloignement, et le colonel Everest, Mathieu Strux, Emery, Zorn, sir John Murray, deux matelots et un Bochjesman fort entendu en matière de navigation fluviale, restèrent sur la rive du Nosoub.

Tel était le nom donné par les indigènes à ce cours d’eau, très accru, en ce moment, par les ruisseaux tributaires formés pendant la dernière saison des pluies.

« Une fort jolie rivière, dit Michel Zorn, à son ami William, tandis que les marins préparaient l’embarcation destinée à les transporter sur l’autre rive.

— Fort jolie, mais difficile à traverser, répondit William Emery. Ces rapides, ce sont des cours d’eau qui ont peu de temps à vivre, et qui jouissent de la vie ! Dans quelques semaines, avec la saison sèche, il ne restera peut-être pas de quoi désaltérer une caravane dans le lit de cette rivière, et maintenant, c’est un torrent presque infranchissable. Il se hâte de couler et tarira vite ! Telle est, mon cher compagnon, la loi de la nature physique et morale. Mais nous n’avons pas de temps à perdre en propos philosophiques. Voici le canot préparé, et je ne suis pas fâché de voir comment il se comportera sur ce rapide. »

En quelques minutes, l’embarcation de caoutchouc, développée et fixée sur son armature intérieure, avait été lancée à la rivière. Elle attendait les voyageurs au bas d’une berge, coupée en pente douce dans un massif de granit rose. En cet endroit, grâce à un remous produit par une pointe avancée de la rive, l’eau tranquille baignait sans murmure les roseaux entremêlés de plantes sarmenteuses. L’embarquement s’opéra donc facilement. Les instruments furent déposés dans le fond du canot, sur une couche d’herbages, afin de n’éprouver aucun choc. Les passagers prirent place de manière à ne point gêner le mouvement des deux rames confiées aux matelots. Le Bochjesman se mit à l’arrière et prit la barre.

Cet indigène était le « foreloper » de la caravane, c’est-à-dire « l’homme qui ouvre la marche. » Le chasseur l’avait donné comme un habile homme, ayant une grande pratique des rapides africains. Cet indigène savait quelques mots d’anglais, et il recommanda aux passagers de garder un profond silence pendant la traversée du Nosoub.