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de trois russes et de trois anglais

de vingt-cinq à trente pieds de longueur, animaux redoutables par leur voracité, et difficiles à fuir sur les eaux des lacs ou des fleuves. Le bushman, ne voulant pas perdre de temps à combattre ces sauriens, les évitait par quelque détour, et retenait sir John, toujours préparé à leur envoyer une balle. Lorsqu’un de ces monstres se montrait entre les hautes herbes, les chevaux, prenant le galop, se dérobaient facilement à sa poursuite. Au milieu des larges étangs créés par le trop plein des rios, on les voyait par douzaines, la tête au-dessus de l’eau, dévorant quelque proie à la manière des chiens, et happant par petites bouchées avec leurs formidables mâchoires.

Cependant, la petite troupe, sans grand espoir, continuait ses recherches, tantôt sous d’épais taillis, difficiles à fouiller, tantôt en plaine, au milieu de l’inextricable lacis des cours d’eau, interrogeant le sol, relevant les plus insignifiantes empreintes, ici, une branche brisée à hauteur d’homme, là, une touffe d’herbe récemment foulée, plus loin, une marque à demi-effacée et dont l’origine était déjà méconnaissable. Rien ne pouvait mettre ces chercheurs sur la trace de l’infortuné Palander.

En ce moment, ils s’étaient avancés d’une dizaine de milles dans le nord du dernier campement, et sur l’avis du chasseur, ils allaient se rabattre vers le sud-ouest, quand le chien donna subitement des signes d’agitation. Il aboyait, remuant sa queue frénétiquement. Il s’écartait de quelques pas, le nez sur le sol, chassant du souffle les herbes sèches du sentier. Puis il revenait à la même place, attiré par quelque émanation particulière.

« Colonel, s’écria alors le bushman, notre chien a senti quelque chose. Ah ! l’intelligente bête ! Il est tombé sur les traces du gibier, — pardon, du savant que nous chassons. Laissons-le faire ! laissons-le faire !

— Oui ! répéta sir John Murray après son ami le chasseur, il est sur la voie. Entendez ces petits jappements ! On dirait qu’il se parle à lui-même, qu’il cherche à se faire une opinion. Je donnerai cinquante livres d’un tel animal, s’il nous conduit à l’endroit où s’est gîté Nicolas Palander. »

Mathieu Strux ne releva pas la manière dont on parlait de son compatriote. L’important était, avant tout, de le retrouver. Chacun se tint donc prêt à s’élancer sur les traces du chien, dès que celui-ci aurait assuré sa voie.

Cela ne tarda guère, et après un jappement sonore, l’animal, bondissant au-dessus d’un hallier, disparut dans la profondeur du taillis.

Les chevaux ne pouvaient le suivre à travers cette forêt inextricable. Force fut au colonel Everest et à ses compagnons de tourner le bois, en se guidant sur les aboiements éloignés du chien. Un certain espoir les excitait alors. Il n’était pas douteux que l’animal ne fût sur les traces du