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Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/319

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de trois russes et de trois anglais

se glissèrent sous les broussailles, en longeant la lisière sarmenteuse du bois, mais de manière à gagner une sorte de pointe formée par les derniers arbres, et dont l’extrémité n’était pas à trois cents pas du troupeau.

Là, les deux chasseurs se blottirent comme s’ils eussent été à l’affût, et, le fusil armé, ils attendirent.

De la place qu’ils occupaient ainsi, ils pouvaient observer les oryx, et admirer même en détail ces élégants animaux. Les mâles se distinguaient peu des femelles, et même par une bizarrerie dont la nature n’offre que de rares exemples, ces femelles, armées plus formidablement que les mâles, portaient des cornes recourbées en arrière et élégamment effilées. Aucun animal n’est plus charmant que cette antilope dont l’oryx forme la variété ; aucune ne présente de bigarrures noires aussi délicatement disposées. Un bouquet de poils flotte à la gorge de l’oryx, sa crinière est droite, et son épaisse queue traîne jusqu’à terre.

Cependant le troupeau, composé d’une vingtaine d’individus, après s’être rapproché du bois, demeura stationnaire. Le gardien, bien évidemment, poussait les oryx à quitter la plaine. Il passait entre les hautes herbes et cherchait à les masser en un groupe compact, comme fait un chien de berger des moutons confiés à sa surveillance. Mais ces animaux, folâtrant dans le pâturage, ne paraissaient point d’humeur à abandonner cette luxuriante prairie. Ils résistaient, ils s’échappaient en gambadant, et recommençaient à brouter quelques pas plus loin.

Ce manège surprit fort le bushman. Il le fit observer à sir John, mais sans pouvoir lui en donner l’explication. Le chasseur ne pouvait comprendre l’obstination de ce vieux mâle, ni pour quelle raison il voulait ramener sous bois la troupe d’antilopes.

La situation se prolongeait cependant, sans se modifier. Sir John tourmentait impatiemment la platine de son rifle. Tantôt il voulait tirer, tantôt se porter en avant. Mokoum ne parvenait que très difficilement à le contenir.

Une heure s’était ainsi écoulée, et l’on ne pouvait prévoir combien d’autres s’écouleraient encore, quand un des chiens, probablement aussi impatient que sir John, poussa un formidable aboiement et se précipita vers la plaine.

Le bushman, furieux, eût volontiers envoyé une charge de plomb au maudit animal ! Mais déjà le rapide troupeau fuyait avec une vitesse sans égale, et sir John comprit alors qu’aucun cheval n’aurait pu l’atteindre. En peu d’instants, les oryx ne formaient plus que des points noirs qui bondissaient entre les hautes herbes.