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Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/336

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aventures

laissées en arrière, et il était à craindre que leur nombre ne s’augmentât de jour en jour. Les murmures, les récriminations s’accroissaient avec les fatigues. Le rôle de Mokoum devenait très difficile, et son influence baissait.

Il fut bientôt évident que le manque d’eau serait un invincible obstacle, qu’il faudrait arrêter la marche au nord, et se porter, soit en arrière, soit sur la droite de la méridienne, au risque de se rencontrer avec l’expédition russe, afin de gagner les bourgades, distribuées dans une contrée moins aride sur l’itinéraire de David Livingstone.

Le 15 février, le bushman fit connaître au colonel Everest ces difficultés croissantes contre lesquelles il s’employait en vain. Les conducteurs de chariots refusaient déjà de lui obéir. Chaque matin, à la levée du camp, c’étaient des scènes d’insubordination auxquelles la plupart des indigènes prenaient part. Ces malheureux, il faut l’avouer, accablés par la chaleur, dévorés par la soif, faisaient pitié à voir. D’ailleurs, les bœufs et les chevaux, insuffisamment nourris d’une herbe courte et sèche, nullement abreuvés, ne voulaient plus marcher.

Le colonel Everest connaissait parfaitement la situation. Mais, dur pour lui-même, il l’était pour les autres. Il ne voulut en aucune façon suspendre les opérations du réseau trigonométrique, et déclara que, fût-il seul, il continuerait à se porter en avant. Du reste, ses deux collègues parlaient comme lui, et ils étaient prêts à le suivre aussi loin qu’il lui plairait d’aller.

Le bushman, par de nouveaux efforts, obtint des indigènes qu’ils le suivraient pendant quelque temps encore. D’après son estime, la caravane ne devait pas être à plus de cinq ou six jours de marche du lac Ngami. Là, chevaux et bœufs retrouveraient de frais pâturages et des forêts ombreuses. Là, les hommes auraient toute une mer d’eau douce pour se rafraîchir. Mokoum fit valoir ces considérations aux principaux Bochjesmen. Il leur démontra que, pour se ravitailler, le plus court était d’aller au nord. En effet, se rejeter dans l’ouest, c’était marcher au hasard ; revenir en arrière, c’était retrouver le Karrou désolé, dont tous les cours d’eau devaient être taris. Enfin les indigènes se rendirent à tant de raisons et de sollicitations, et la caravane, presque épuisée, reprit sa marche vers le Ngami.

Fort heureusement, dans cette plaine si vaste, les opérations géodésiques s’accomplissaient facilement au moyen de poteaux ou de pylônes. Afin de gagner du temps, les astronomes travaillaient nuit et jour. Guidés par la lueur des lampes électriques, ils obtenaient des angles très nets, qui satisfaisaient aux plus scrupuleuses déterminations.