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de trois russes et de trois anglais

Et pendant ce temps, comment avaient opéré les Russes de leur côté ? Depuis six mois que les membres de la commission internationale s’étaient séparés, où se trouvaient, en ce moment, Mathieu Strux, Nicolas Palander, Michel Zorn ? Les fatigues les avaient-ils éprouvés avec autant de rigueur que leurs collègues d’Angleterre ? Avaient-ils souffert de la privation d’eau, des accablantes chaleurs de ces climats ? Sur leur parcours qui se rapprochait sensiblement de l’itinéraire de David Livingstone, les régions avaient-elles été moins arides ? Peut-être, car il existait depuis Kolobeng, des villages et des bourgades tels que Schokuané, Schoschong et autres, peu éloignés sur la droite de la méridienne, dans lesquels la caravane russe avait dû pouvoir se ravitailler. Mais aussi n’était-il pas à craindre que, dans ces régions moins désertes, et par conséquent battues sans cesse par les pillards, la petite troupe de Mathieu Strux n’eût été très exposée ? De ce que les Makololos semblaient avoir abandonné la poursuite de l’expédition anglaise, ne fallait-il pas conclure qu’ils s’étaient jetés sur les traces de l’expédition russe ?

Le colonel Everest, toujours absorbé, ne pensait pas ou ne voulait pas penser à ces choses, mais sir John Murray et William Emery s’entretenaient fréquemment du sort de leurs anciens collègues. Leur serait-il donné de les revoir ? Les Russes réussiraient-ils dans leur entreprise ? Le même résultat mathématique, c’est-à-dire la valeur du degré de longitude dans cette partie de l’Afrique, serait-il identique pour ces deux expéditions, qui auraient poursuivi simultanément, mais séparément, l’établissement du réseau trigonométrique ? Puis, William Emery songeait à son compagnon, dont l’absence lui semblait si regrettable, et il savait bien que Michel Zorn ne l’oublierait jamais.

Cependant, la mesure des distances angulaires avait commencé. Pour obtenir l’angle qui s’appuyait à la station, il s’agissait de viser deux mires dont l’une était formée par le sommet conique du Scorzef.

Pour l’autre mire, sur la gauche de la méridienne, on choisit un monticule aigu, qui n’était situé qu’à la distance de quatre milles. Sa direction fut donnée par l’une des lunettes du cercle répétiteur.

Le Scorzef, on l’a dit, était relativement fort éloigné. Mais les astronomes n’avaient pas eu le choix, ce mont isolé étant le seul point culminant de la contrée. En effet, aucune autre hauteur ne s’élevait ni dans le nord ni dans l’ouest, ni au delà du lac Ngami, que l’on ne pouvait encore apercevoir. Or, cet éloignement du Scorzef allait obliger les observateurs à se porter considérablement sur la droite de la méridienne ; mais, après mûres réflexions, ils comprirent qu’ils pouvaient procéder autrement. Le mont solitaire fut donc visé avec un soin extrême au moyen de la seconde