Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/104

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matière, sous une épaisseur de sept millimètres seulement, résister à une pression de seize atmosphères, tout en laissant passer de puissants rayons calorifiques qui lui répartissaient inégalement la chaleur. Or, les verres dont je me sers n’ont pas moins de vingt et un centimètres à leur centre, c’est-à-dire trente fois cette épaisseur.

— Admis, capitaine Nemo ; mais enfin, pour voir, il faut que la lumière chasse les ténèbres, et je me demande comment au milieu de l’obscurité des eaux…

— En arrière de la cage du timonier est placé un puissant réflecteur électrique, dont les rayons illuminent la mer à un demi-mille de distance.

— Ah ! bravo, trois fois bravo ! capitaine. Je m’explique maintenant cette phosphorescence du prétendu narwal, qui a tant intrigué les savants ! À ce propos, je vous demanderai si l’abordage du Nautilus et du Scotia, qui a eu un si grand retentissement, a été le résultat d’une rencontre fortuite ?

— Purement fortuite, monsieur. Je naviguais à deux mètres au-dessous de la surface des eaux, quand le choc s’est produit. J’ai d’ailleurs vu qu’il n’avait eu aucun résultat fâcheux.

— Aucun, monsieur. Mais quant à votre rencontre avec l’Abraham-Lincoln ?…

— Monsieur le professeur, j’en suis fâché pour l’un des meilleurs navires de cette brave marine américaine, mais on m’attaquait et j’ai dû me défendre ! Je me suis contenté, toutefois, de mettre la frégate hors d’état de me nuire, — elle ne sera pas gênée de réparer ses avaries au port le plus prochain.

— Ah ! commandant, m’écriai-je avec conviction, c’est vraiment un merveilleux bateau que votre Nautilus !

— Oui, monsieur le professeur, répondit avec une véritable émotion le capitaine Nemo, et je l’aime comme la chair de ma chair ! Si tout est danger sur un de vos navires soumis aux hasards de l’Océan, si sur cette mer, la première impression est le sentiment de l’abîme, comme l’a si bien dit le Hollandais Jansen, au-dessous et à bord du Nautilus, le cœur de l’homme n’a plus rien à redouter. Pas de déformation à craindre, car la double coque de ce bateau a la rigidité du fer ; pas de gréement que le roulis ou le tangage fatiguent ; pas de voiles que le vent emporte ; pas de chaudières que la vapeur déchire ; pas d’incendie à redouter, puisque cet appareil est fait de tôle et non de bois ; pas de charbon qui s’épuise, puisque l’électricité est son agent mécanique ; pas de rencontre à redouter, puisqu’il est seul à naviguer dans les eaux profondes ; pas de tempête à braver, puisqu’il trouve à quelques mètres au-dessous des eaux l’absolue tranquillité ! Voilà, mon-