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LES ANGLAIS AU POLE NORD

Baffin. Mais dans le nord-ouest, au contraire, « une mer libre, dit son rapport, s’étendait à perte de vue. »

Hatteras considérait avec émotion cette partie des cartes marines où un large espace blanc figurait ces régions inconnues, et ses yeux revenaient toujours à ce bassin polaire dégagé de glaces.

« Après tant de témoignages, se dit-il, après les relations de Stewart, de Penny, de Belcher, il n’est pas permis de douter ! Il faut que cela soit ! Ces hardis marins ont vu, vu de leurs propres yeux ! peut-on révoquer leurs assertions en doute ? Non ! — Mais, si cependant cette mer, libre alors par suite d’un hiver précoce, était… Mais non, c’est à plusieurs années d’intervalle que ces découvertes ont été faites ; ce bassin existe, je le trouverai, je le verrai ! »

Hatteras remonta sur la dunette. Une brume intense enveloppait le Forward ; du pont, on apercevait à peine le haut de sa mâture. Cependant Hatteras fit descendre l’ice-master de son nid de pie et prit sa place ; il voulait profiter de la moindre éclaircie du ciel pour examiner l’horizon du nord-ouest.

Shandon n’avait pas manqué cette occasion de dire au lieutenant :

« Eh bien, Wall ! et cette mer libre ?

— Vous aviez raison, Shandon, répondit Wall, et nous n’avons plus que pour six semaines de charbon dans nos soutes.

— Le docteur trouvera quelque procédé scientifique, répondit Shandon, pour nous chauffer sans combustible. J’ai entendu dire que l’on faisait de la glace avec du feu ; peut-être nous fera-t-il du feu avec de la glace. »

Shandon rentra dans sa cabine en haussant les épaules.

Le lendemain, 20 août, le brouillard se fendit pendant quelques instants. On vit Hatteras, de son poste élevé, promener vivement ses regards vers l’horizon ; puis il redescendit sans rien dire, et donna l’ordre de se porter en avant ; mais il était facile de voir que son espoir avait été déçu une dernière fois.

Le Forward leva l’ancre et reprit sa marche incertaine vers le nord. Comme il fatiguait beaucoup, les vergues des huniers et de perroquet furent envoyées en bas avec tout leur gréement ; les mâts furent dépassés ; on ne pouvait plus compter sur le vent variable, que la sinuosité des passes rendait d’ailleurs à peu près inutile ; de larges taches blanchâtres se formaient çà et là sur la mer, semblables à des taches d’huile ; elles faisaient présager une gelée générale très-prochaine ; dès que la brise venait à tomber, la mer se prenait presque instantanément ; mais, au retour du vent, cette jeune glace se brisait et se dissipait. Vers le soir, le thermomètre descendit à dix-sept degrés (−7° centig.).

Lorsque le brick arrivait au fond d’une passe fermée, il faisait alors l’office de