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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

les chiens aboyaient avec fureur, mais la troupe n’y prenait pas garde, et la scène de destruction se poursuivait avec acharnement.

« Feu ! » s’écria le capitaine en déchargeant son fusil.

Ses compagnons l’imitèrent. Mais, à cette quadruple détonation, les ours, relevant la tête et poussant un grognement comique, donnèrent le signal du départ ; ils prirent un petit trot que le galop d’un cheval n’eût pas égalé, et, suivis de la bande de renards, ils disparurent bientôt au milieu des glaçons du nord.


CHAPITRE XXX. — LE CAIRN.

La durée de ce phénomène particulier aux climats polaires avait été de trois quarts d’heure ; les ours et les renards eurent le temps d’en prendre à leur aise ; ces provisions arrivaient à point pour remettre ces animaux, affamés pendant ce rude hiver ; la bâche du traîneau déchirée par des griffes puissantes, les caisses de pemmican ouvertes et défoncées, les sacs de biscuit pillés, les provisions de thé répandues sur la neige, un tonnelet d’esprit-de-vin aux douves disjointes et vide de son précieux liquide, les effets de campement dispersés, saccagés, tout témoignait de l’acharnement de ces bêtes sauvages, de leur avidité famélique, de leur insatiable voracité.

« Voilà un malheur, dit Bell en contemplant cette scène de désolation.

— Et probablement irréparable, répondit Simpson.

— Évaluons d’abord le dégât, reprit le docteur, et nous en parlerons après. »

Hatteras, sans mot dire, recueillait déjà les caisses et les sacs épars. On ramassa le pemmican et les biscuits encore mangeables. La perte d’une partie de l’esprit-de-vin était une chose fâcheuse ; sans lui, plus de boisson chaude, plus de thé, plus de café. En faisant l’inventaire des provisions épargnées, le docteur constata la disparition de deux cents livres de pemmican et de cent cinquante livres de biscuit ; si le voyage continuait, il devenait nécessaire aux voyageurs de se mettre à demi-ration.

On discuta donc le parti à prendre dans ces circonstances. Devait-on retourner au navire et recommencer cette expédition ? Mais comment se décider à perdre ces cent cinquante milles déjà franchis ? Revenir sans ce combustible si nécessaire serait d’un effet désastreux sur l’esprit de l’équipage ! Trouverait-on encore des gens déterminés à reprendre cette course à travers les glaces ?

Évidemment, le mieux était de se porter en avant, même au prix des privations les plus dures.