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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

— Cela ne serait pas impossible, répondit le docteur ; tenez, ajouta-t-il après un craquement d’une violence extrême, ne dirait-on pas un écrasement de glaçons ? Nous pourrions bien être fort rapprochés de l’Océan.

— S’il en est ainsi, reprit Hatteras, je n’hésiterai pas à me lancer au travers des champs de glace.

— Oh ! fit le docteur, ils ne peuvent manquer d’être brisés après une tempête pareille. Nous verrons demain ; quoi qu’il en soit, s’il y a quelque troupe d’hommes à voyager par une nuit pareille, je la plains de tout mon cœur. »

L’ouragan dura pendant dix heures sans interruption, et aucun des hôtes de la tente ne put prendre un instant de sommeil ; la nuit se passa dans une profonde inquiétude.

En effet, en pareilles circonstances, tout incident nouveau, une tempête, une avalanche, pouvait amener des retards graves. Le docteur aurait bien voulu aller au-dehors reconnaître l’état des choses ; mais comment s’aventurer dans ces vents déchaînés ?

Heureusement, l’ouragan s’apaisa dès les premières heures du jour ; on put enfin quitter cette tente qui avait vaillamment résisté ; le docteur, Hatteras et Johnson se dirigèrent vers une colline haute de trois cents pieds environ ; ils la gravirent assez facilement.

Leurs regards s’étendirent alors sur un pays métamorphosé, fait de roches vives, d’arêtes aiguës, et entièrement dépourvu de glace. C’était l’été succédant brusquement à l’hiver chassé par la tempête ; la neige, rasée par l’ouragan comme par une lame affilée, n’avait pas eu le temps de se résoudre en eau, et le sol apparaissait dans toute son âpreté primitive.

Mais où les regards d’Hatteras se portèrent rapidement, ce fut vers le nord. L’horizon y paraissait baigné dans des vapeurs noirâtres.

« Voilà qui pourrait bien être l’effet produit par l’Océan, dit le docteur.

— Vous avez raison, fit Hatteras, la mer doit être là.

— Cette couleur est ce que nous appelons le « blink » de l’eau libre, dit Johnson.

— Précisément, reprit le docteur.

— Eh bien, au traîneau ! s’écria Hatteras, et marchons à cet Océan nouveau !

— Voilà qui vous réjouit le cœur, dit Clawbonny au capitaine.

— Oui, certes, répondit celui-ci avec enthousiasme ; avant peu, nous aurons atteint le pôle ! Et vous, mon bon docteur, est-ce que cette perspective ne vous rend pas heureux ?

— Moi ! je suis toujours heureux, et surtout du bonheur des autres ! »