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LE DÉSERT DE GLACE

l’imprévu, la nouveauté, la jeunesse ! Ce volcan ne paraissait pas vieux, et des géologues auraient pu indiquer une date récente à sa formation.

Les rochers, cramponnés les uns aux autres, ne se maintenaient que par un miracle d’équilibre. La montagne n’était, à vrai dire, qu’un amoncellement de pierres tombées de haut. Pas de terre, pas la moindre mousse, pas le plus maigre lichen, pas de trace de végétation. L’acide carbonique, vomi par le cratère, n’avait encore eu le temps de s’unir ni à l’hydrogène de l’eau, ni à l’ammoniaque des nuages, pour former, sous l’action de la lumière, les matières organisées.

Cette île, perdue en mer, n’était due qu’à l’agrégation successive des déjections volcaniques ; c’est ainsi que plusieurs montagnes du globe se sont formées ; ce qu’elles ont rejeté de leur sein a suffi à les construire. Tel l’Etna, qui a déjà vomi un volume de lave plus considérable que sa masse elle-même ; tel encore le Monte-Nuovo, près de Naples, engendré par des scories dans le court espace de quarante-huit heures.

Cet amas de roches dont se composait l’île de la Reine était évidemment sorti des entrailles de la terre ; il avait au plus haut degré le caractère plutonien. À sa place s’étendait autrefois la mer immense, formée, dès les premiers jours, par la condensation des vapeurs d’eau sur le globe refroidi ; mais, à mesure que les volcans de l’ancien et du nouveau monde s’éteignirent ou, pour mieux dire, se bouchèrent, ils durent être remplacés par de nouveaux cratères ignivomes.

En effet, on peut assimiler la terre à une vaste chaudière sphéroïdale. Là, sous l’influence du feu central, s’engendrent des quantités immenses de vapeurs emmagasinées à une tension de milliers d’atmosphères, et qui feraient sauter le globe sans les soupapes de sûreté ménagées à l’extérieur.

Ces soupapes sont les volcans ; quand l’une se ferme, l’autre s’ouvre, et, à l’endroit des pôles, où, sans doute par suite de l’aplatissement, l’écorce terrestre est moins épaisse, il n’est pas étonnant qu’un volcan se soit inopinément formé par le soulèvement du massif au-dessus des flots.

Le docteur, tout en suivant Hatteras, remarquait ces étranges particularités ; son pied foulait un tuf volcanique et des dépôts ponceux faits de scories, de cendres, de roches éruptives, semblables aux syénites et aux granits de l’Islande.

Mais, s’il attribuait à l’îlot une origine presque moderne, c’est que le terrain sédimentaire n’avait pas encore eu le temps de s’y former.

L’eau manquait aussi. Si l’île de la Reine eût compté plusieurs siècles d’existence, des sources thermales auraient jailli de son sein, comme aux environs des volcans. Or, non-seulement on n’y trouvait pas une molécule liquide, mais