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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

observations futures il eut toujours soin de se servir de snow-spectacles[1] pour éviter les ophthalmies très-fréquentes sous cette latitude élevée.

Vers le soir, le Forward avait gagné plusieurs milles dans le nord, grâce à l’activité des hommes et à l’habileté de Shandon, adroit à profiter de toutes les circonstances favorables ; à minuit, il dépassait le soixante-sixième parallèle, et la sonde ayant rapporté vingt-trois brasses de profondeur, Shandon reconnut qu’il se trouvait sur le bas-fond où toucha le Victory, vaisseau de Sa Majesté. La terre s’approchait à trente milles dans l’est.

Mais alors la masse des glaces, immobiles jusqu’alors, se divisa et se mit en mouvement ; les ice-bergs semblaient surgir de tous les points de l’horizon ; le brick se trouvait engagé dans une série d’écueils mouvants dont la force d’écrasement est irrésistible ; la manœuvre devint assez difficile pour que Garry, le meilleur timonier, prît la barre ; les montagnes tendaient à se refermer derrière le brick ; il fut donc nécessaire de traverser cette flotte de glaces, et la prudence autant que le devoir commandait de se porter en avant. Les difficultés s’accroissaient de l’impossibilité où se trouvait Shandon de constater la direction du navire au milieu de ces points changeants, qui se déplaçaient et n’offraient aucune perspective stable.

Les hommes de l’équipage furent divisés en deux bordées de tribord et de bâbord ; chacun d’eux, armé d’une longue perche garnie d’une pointe de fer, repoussait les glaçons trop menaçants. Bientôt le Forward entra dans une passe si étroite, entre deux blocs élevés, que l’extrémité de ses vergues froissa ces

  1. Lunettes à neige.