Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/147

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Femmes ! c’était hier ! et c’est hier aussi
Que j’ai vu revenir le bon cheval de guerre :
La fange maculait son poil luisant naguère,
De larges pleurs tombaient de son œil obscurci.

D’où viens-tu, bon cheval ? Parle ! qui te ramène ?
Qu’as-tu fait de ton maître ? — Et lui, ployant les reins,
Se coucha, balayant la terre de ses crins,
Dans un hennissement de douleur presque humaine.

Va ! suis l’aigle à ses cris, le corbeau croassant,
Reine, me dit Hagen, le Frank au cœur farouche ;
Le roi Sigurd t’attend sur sa dernière couche,
Et les loups altérés boivent son rouge sang…


Aux derniers mots de Gudruna, le poète fait lever brusquement Brunhild. Elle impose silence aux autres femmes, elle avoue son amour et sa vengeance : elle aimait le roi Sigurd, ce fut Gudruna qu’il aima ; elle a noyé sa haine dans le sang de ces dix plaies ; si elle eût égorgé l’épouse, Sigurd l’aurait pleurée ; il était mieux de faire ce qu’elle a fait : c’est au tour de Gudruna de pleurer, de veiller, de languir, de blasphémer. Ainsi parle la Burgonde et, se frappant au cœur, elle tombe raide, en travers, sur le Frank.

Sauf le dernier geste, toute la fin du poème appartient en propre à Leconte de Lisle, qui suppose que Gudruna ignorait encore la part prise par Brunild au meurtre de son époux, et même l’amour de sa rivale.


Admirablement composée, avec un souci manifeste de l’effet dramatique, la Mort de Sigurd ne respire guère que la haine et l’esprit de vengeance. Rien que des destinées