Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/304

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chiens les ambassadeurs de Benabad, fait aussitôt songer aux ambassadeurs des Mercenaires traîtreusement crucifiés par Hamilcar. C’est enfin la même façon de faire parler aux personnages ou de parler soi-même le langage figuré des Orientaux. Et ce qui achève de rendre la comparaison intéressante, c’est que, par une coïncidence singulière, ces deux œuvres sœurs, sans rien se devoir l’une à l’autre, ont paru la même année à quelques mois d’intervalle.


QAÏN[1]


Depuis le jour où Iahvèh avait lié les Israélites au joug assyrien, tous s’étaient tus : ployés sous le faix des misères, l’épaule meurtrie par la sangle des meules, ils revoyaient leurs murs écroulés, leurs princes pendus aux gibets, leur saint temple souillé. Or, en la trentième année du siècle de l’épreuve,


Thogorma, le Voyant, fils d’Élam, fils de Thur,
Eut ce rêve, couché dans les roseaux du fleuve,
A l’heure où le soleil blanchit l’herbe et le mur.


C’était un soir, au temps mystérieux des origines du monde. Thogorma vit une ville gigantesque : murailles de fer, palais cerclés d’airain sur des blocs lourds. Des géants y rentraient avec leurs femmes et leurs troupeaux. Et le Voyant connut dans son esprit que c’était là Hénokhia, la ville que Qaïn avait fait construire et à qui il avait donné le nom de son fils Hénokh. Là, le fratricide dormait son dernier sommeil, tout en haut d’une tour, couché sur le


  1. Poèmes barbares, I.