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les chœurs par des dialogues. La pièce y perd de grandes beautés lyriques, mais elle y gagne d’être jouable sur une scène française.

C’est aussi pour donner une satisfaction légitime à notre goût que Leconte de Lisle a corrigé la scène fameuse où le frère et la sœur se reconnaissent à la couleur de leurs cheveux et à la longueur de leurs pieds. Il a craint justement qu’un public disposé à l’ironie ne sourît de ces signes peu probants de parenté qui avaient déjà provoqué le persiflage d’Euripide ; et croyant, non sans raison peut-être, que le comble de l’adresse serait ici de n’avoir aucune adresse, il a fait reconnaître le frère par la sœur tout simplement à l’intensité de son émotion, aux pleurs de joie qui s’échappent de ses yeux quand il revoit sa sœur et sa patrie.

Le style de cette œuvre forte est vraiment un grand style. Il est fort loin sans doute d’avoir toutes les qualités du style eschyléen. (Mais le poète a-t-il eu pour lui cette ambition ?) Il n’en a point la simplicité, et bien des comparaisons ont été condamnées, comme celle-ci, pour leur familiarité :


Oui, en ce jour les Achéens sont maîtres de Troie. Des cris bien divers, j’imagine, retentissent dans la ville. Versez dans le même vase le vinaigre et l’huile, vous les voyez se séparer, jamais s’unir : ainsi se distinguent, indices d’un succès tout différent, les cris des vaincus et ceux des vainqueurs[1].


  1. Traduction Pierron.