Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/381

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blis en Grèce : c’est la première insurrection contre les idées religieuses. Et la suite du récit de Khirôn ne laisse subsister aucun doute.

La guerre que les Géants avaient osé faire aux Dieux laissa fort indécis l’esprit du centaure. Songeur, il se disait : Les sereines forêts peuvent s’écheveler comme des fronts vulgaires, les troncs noueux des chênes se brisent aux bonds de l’ouragan, un astre peut s’éteindre dans le ciel, l’océan peut rugir et la terre s’ébranler ; mais d’où vient que les Dieux, générateurs des astres et des êtres, les Rois de l’infini, les Maîtres implacables, troublent leur repos en luttant contre des hommes ? Ils ont failli succomber sous les coups des Géants : ils sont donc faibles. Ils se sont irrités : leur cœur n’est donc pas serein. N’y a-t-il pas, par delà la sphère où ils habitent, une Force impassible plus puissante qu’eux-mêmes ? N’y a-t-il pas des Dieux inaltérables ? Oui, sans doute. Aussi est-ce à ces Dieux invisibles que montera désormais le culte de Khirôn. Les faibles Dieux de l’Olympe ne sont plus les siens. Sachant qu’il darde un trait d’une main aussi assurée que Phoibos et qu’il peut devancer Artémis à la course, dédaigneux de Zeus dont les Géants ont balancé la gloire, il adorera désormais ces Dieux inconnus que l’on n’a pas combattus, ces Dieux à qui nul n’a dit : Non !

C’est ainsi que Khirôn songeait, parce que la première insurrection contre les Dieux avait beau avoir été repoussée, depuis lors le sentiment de leur faiblesse persistait dans la conscience de l’humanité.