Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/68

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pire sur ton essence, ni l’action, ni l’état, ni le temps, ni le lieu, d’où vient donc que ta force hurle avec les flots ?


D’où vient que, remplissant la terre de sanglots,
Tu souffres, ô mon Maître, au sein de l’âme humaine ?


Et moi, qui porte un doute cuisant, ravivé par le désir, qui suis-je ? Suis-je l’âme d’un monde errant à travers l’infini? Suis-je quelque antique Orgueil puni de ses actes,


Qui ne peut remonter à ses sources divines ? —


Il semble que ce soit là une plainte toute moderne. Mais le poète, dans ce couplet qui parait répondre aux pensées et aux sentiments d’aujourd’hui, est cependant beaucoup plus près qu’on ne croit de son modèle indien.

Nombreux sont les personnages du Bhagavata-Purana qui s’inquiètent devant l’énigme du monde. C’est un solitaire qui se plaint que les actions du divin Hâri soient « difficiles à comprendre, même aux chantres inspirés[1] ». C’est Brahma qui s’étonne que lui, chef vénéré des chefs des créatures, lui « dont les austérités forment la substance », ait dû reconnaître, après de longues méditations, « l’impossibilité de comprendre la cause à laquelle il doit l’existence[2] ». Mais voici qui est plus intéressant encore ; car voici, posée au sage Maîtreyâ par Vidura, sinon avec

  1. Liv. II, ch. IV ; trad. Burnouf, t. I, p. 223.
  2. Liv. II, ch. VI, v. 34 ; Burnouf, t. I, p. 243. — Voir les questions que Brahma pose à Bhagavat sur l’énigme du monde dans un épisode qui est certainement une variante de la Vision de Brahma ; liv. II, ch. IX ; Burnouf, t. I, p. 269.