Page:Vianey - Les Sources de Leconte de Lisle, 1907.djvu/74

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ressemble au Mont des Oliviers d’Alfred de Vigny. La situation est la même. Ici la plainte de l’humanité est portée au Créateur par le Sauveur du monde, là elle est portée par un dieu à un dieu plus grand que lui-même. Et la plainte reste pareille : c’est de ne pas savoir d’où vient la vie et où elle va, c’est surtout de ne pas comprendre la raison de tant de souffrances, que gémit le porte-paroles des créatures.

Si des deux poèmes celui de Leconte de Lisle est le moins émouvant, est-il besoin d’expliquer pourquoi ? L’histoire de Visnou nous est si étrangère, à nous Occidentaux ! On ne peut pas dire cependant que ce poème soit obscur. À quelques détails près, il est, au contraire, immédiatement intelligible, même pour qui n’a jamais entendu parler de Visnou. De nombreux qualificatifs, clairs par eux-mêmes, tels que l’Être pur, l’Esprit suprême, l’Âme des âmes, l’Être-principe, disent, sans ambages possibles, que Bhagavat est le Dieu suprême, le Grand Tout ; pour éviter toute confusion, Leconte de Lisle ne lui donne pas d’autres noms propres que ceux de Bhagavat et de Hâri. Et la personne de Brahma reste bien un peu énigmatique pour le lecteur qui ne connaît pas la légende visnouite ; mais rien du moins ne nous est dit qui puisse faire naître une équivoque ; nous voyons bien vite que Brahma est un dieu inférieur à l’autre et qu’il parle au nom de la création tout entière : cela suffit.

Dans ces poèmes de Leconte de Lisle auxquels on a reproché parfois d’être pédants, ce que j’admire le plus, c’est qu’ils le soient si peu quand ils pouvaient l’être tant,