Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/385

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ELEGIE.


Chère Phillis, j’ay bien peur que tu meures
Dans ce désert si triste où tu demeures.
Helas ! quel sort te peut là retenir ?
A quoy se peut ton ame entretenir ?
Ta fantasie est-elle point passée ?
L’aurois-tu bien encore en la pensée ?
Te souvient-il de la cour ny de moy,
Et de m’avoir jadis donné ta foy ?
S’il t’en souvient, Phillis, je te conjure
Par tous les droits d’amour et de nature,
Fais-moy l’honneur de t’asseurer aussi
Que je languis de mon premier soucy.
Si tu sçavois à quel point de folie
M’a faict venir ceste melancholie ;
Si tu sçavois à quoy je suis reduict,
En quel travail mon ame est jour et nuict,
Quoy que t’ait dit de moy ta deffiance,
Ta jalousie ou ton impatience,
Tu m’aymerois, et, sçachant mes ennuys,
Tu me plaindrois en l’estât où je suis ;
Pasle, deffait, et sec comme une idole,
Changé d’humeur, de face, de parole,
Tousjours je resve en mon affliction,
Sans nul désir de consolation.
Je ne veux point que personne s’employe
A ranimer mon esprit ny ma joye,
Car sans te faire un peu de trahison
Je ne sçaurois chercher ma guarison.
Puis qu’il est vray que j’ay cet advantage
Que mon service a gaigné ton courage,
Et que parmy tant d’aymables amans