Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/394

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Que mes esprits n’ont plus leur force accoustumée,
Que je deviens fascheux, sans courage et brutal,
Bref, que pour cet amour tout m’est rendu fatal.
Faictes-le pour tuer l’ardeur qui me consume.
Car je cognois qu’ainsi ma flame se ralume :
Plus on presse mon mal, plus il fuit au dedans,
Et mes désirs en sont mille fois plus ardans.
A l’abord d’un censeur je sens que mon martyre
De dépit et d’horreur dans mes os se retire ;
Amour ne faict alors que renforcer ses traicts
Et donne à ma maistresse encores plus d’attraicts.
Ainsi je trouve bon que chacun me censure.
Afin que mon tourment davantage me dure.
Pour conserver mon mal je fais ce que je puis.
Et, me croyant heureux, sans doute je le suis.
Je ne recherche point de Dieux ny de fortune ;
Ce qu’ils font au dessous ou pardessus la lune
Pour le bien des mortels, tout m’est indiffèrent,
Excepté le plaisir que ma peine me rend.
Je croy que mon servage est digne de louange,
Je croy que ma maistresse est belle comme un ange,
Qu’elle mérite bien d’avoir lié ma foy,
S’il est vray que son ame ait de l’amour pour moy ;
Elle me l’a juré : la promesse est un gage
Où la foy tient le cœur avecque le langage.
Je suis bien peu dévot d’avoir quitté ses yeux ;
Je suis trop nonchalant d’un bien si précieux.
Je ne devrois jamais esloigner ce visage
Qu’après que de mes sens j’auray perdu l’usage.
Aussi bien mes esprits, loing de ses doux regards.
N’ont que melancholie et mal de toutes parts.
Le seul ressouvenir des beautez de ma dame
Est l’unique entretien qui resjouit mon ame ;
Mais si les immortels me font jamais avoir,
Au moins avant mourir, l’honneur de la revoir,