Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/26

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tout de suite l’une vers l’autre. Elles s’étaient beaucoup connues, mais ma grand’mère avait depuis longtemps cessé de la voir. Pour moi, j’étais dans l’enchantement de considérer de près celle dont je lisais les ouvrages pour les enfants, dont je jouais les petites pièces ; j’avais entendu tant chuchoter en parlant d’elle, et vu sourire si souvent, que cela piquait ma curiosité ; aussi la scène que je vais raconter m’est présente, comme si elle s’était passée hier.

[Mme de Genlis était mise très simplement, en couleur sombre ; je crois même être sûre que le capuchon de son mantelet noir était sur sa tête. Elle me parut maigre et brune ; sa physionomie était délicieuse, sa bouche, ses dents et ses yeux ravissants ; elle avait l’air si aimable, si doux, si séduisant et si spirituel ! Les jeunes princes étaient bien singuliers pour ce temps-là, car ils étaient coiffés comme de petits Anglais, les cheveux tombant bouclés sur les épaules et sans poudre, chose fort étrange à cette époque. Tandis que les sous-gouverneurs et les peintres leur expliquaient les tableaux, ma grand’mère et Mme de Genlis se faisaient mille compliments aimables. Celle-ci lui présenta sa fille, depuis Mme de Valence[1]. Elle avait quatorze ans, était forte et belle.

[Ma grand’mère vit à côté d’elle une charmante petite fille de sept ans. Elle lui dit : « Vous n’avez que deux filles (l’aînée, Mme de Lavœstine[2], était déjà mariée) : quelle est donc cette ravissante créature ? — Oh ! répondit Mme de Genlis à demi-voix, mais je l’entendis, c’est une histoire bien touchante, bien intéressante, que celle de cette petite : je ne puis vous la raconter en ce moment. » Elle ajouta : « Vous ne voyez rien

  1. Edme-Nicole-Pulchérie Brulart de Genlis, mariée, le 3 juin 1784, à Jean-Baptiste-Cyrus-Marie-Adélaïde de Timbrune-Thiembronne, d’une famille de l’Artois, comte de Valence, colonel du régiment de Chartres-dragons en 1788.
  2. Caroline-Jeanne, née à Paris le 4 décembre 1765, mariée, le 18 avril 1780, à Charles-Ghislain-Antoine-François de Paule de Becelaer, marquis de Lawœstine, mestre de camp en second du régiment de Chartres-dragons en 1784. Elle mourut à Paris en 1788.