Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/126

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oreille s’obstinait à me servir contre mon gré, et ne cessait de m’avertir de l’insipide et ennuyeuse uniformité de cette versification qui appareille les rimes et coupe les vers par le milieu, ainsi que de la trivialité du rhythme et de la mélodie nasale des sons. Aussi, sans qu’il me fut possible d’en dire la raison (les acteurs étaient excellens, comparés aux nôtres, qui sont détestables, et ils ne jouaient guère que des œuvres admirables pour la passion, la conduite et les pensées), il m’arrivait souvent de rester froid et de m’en aller mécontent. Les tragédies qui me plaisaient le mieux, c’étaient Phèdre, Alzire, Mahomet et un petit nombre d’autres.

Après le théâtre, un de mes divertissemens à Marseille, c’était de me baigner presque tous les soirs à la mer. J’avais découvert un petit endroit fort joli sur une certaine pointe de terre située hors du port, à main droite. Là, assis sur le sable et les épaules adossées à un petit rocher assez haut pour me dérober la vue de la terre que je laissais derrière moi, je ne voyais plus devant moi et autour de moi que la mer et le ciel, et alors entre ces deux immensités que venaient encore embellir les rayons du soleil qui se prolongeait dans les flots, je passais des heures à rêver délicieusement ; que de poésies j’aurais composées, si j’avais su écrire en vers ou en prose, dans-une langue quelconque!

Mais je finis par me dégoûter aussi du séjour de Marseille ; car tout ennuie bientôt les désœuvrés. Toujours violemment possédé du démon de Paris, je partis vers le 10 du mois d’août, et, semblable à