Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.




CHAPITRE VI.

Voyage en Angleterre et en Hollande. — Premier empêchement d’amour.


Je partis donc de Paris vers le milieu de janvier, en compagnie d’un de mes compatriotes, jeune homme d’une fort belle tournure, doué d’assez d’esprit, et qui avait environ dix ou douze ans de plus que moi, de l’ignorance autant que moi, de la réflexion beaucoup moins ; plus de passion pour le grand monde que de goût à observer les hommes et de sagacité pour les connaître. Il était cousin de notre ambassadeur à Paris et neveu de l’ambassadeur d’Espagne à Londres, le prince de Massérano, chez lequel il devait loger. J’avais peu de penchant pour les voyages en commun ; mais, pour aller seulement en un lieu déterminé, je m’y prêtai volontiers. Mon nouveau compagnon étant d’humeur babillarde et fort gaie, chacun de nous se trouvait bien, moi de me taire et de l’écouter, lui de parler et de s’en faire accroire. Il était fortement épris de lui-même pour avoir eu beaucoup de succès auprès des femmes, et, chemin faisant, il m’énumérait avec emphase ses conquêtes amoureuses, que j’écoutais avec plaisir et sans envie. Le soir, à l’auberge, en attendant le souper, nous jouions aux échecs, et je me faisais toujours battre, n’ayant jamais eu de dispositions pour aucun jeu. Nous fîmes un long détour par Lille, Douai et Saint-Omer,