Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/29

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vu de personne, je me débarrassai presque entièrement de l’herbe que j’avais dévorée. Etant ensuite retourné dans la chambre, j’y restai seul et taciturne, avec de légères coliques et des douleurs d’estomac. Sur ces entrefaites, mon maître rentra ; il ne se douta de rien, et, de mon côté, je n’eus garde de lui rien dire. Un moment après, il fallut se mettre à table, et ma mère me voyant les yeux rouges et enflés, comme on les a d’ordinaire, quand on a fait effort pour vomir, me demanda avec instance et voulut savoir absolument ce qu’il en était. Avec les ordres de ma mère, les coliques devenaient plus pressantes ; si bien que je ne pouvais manger et que je ne voulais pas parler. D’une part, je m’obstinais à me taire, et à cacher ce que je souffrais ; de l’autre, ma mère continuait à me poursuivre de questions et de menaces. Cependant, à force de m’examiner avec attention, s’apercevant que je souffrais et que j’avais les lèvres verdâtres, car je n’avais pas songé à les laver, elle se lève brusquement, tout épouvantée, s’approche de moi, me parle de la couleur inaccoutumée de mes lèvres, me presse, me force de répondre, jusqu’à ce qu’enfin cédant à la crainte et à la douleur, je lui confesse tout en pleurant. On m’administre aussitôt quelque léger remède, et il n’en résulta d’autre mal, sinon que pendant plusieurs jours on m’enferma dans ma chambre pour me punir ; et cette solitude ne servit qu’à prêter un nouvel aliment et une excitation nouvelle à mon humeur mélancolique.