Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/314

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Pendant que j’écrivais lettres sur lettres à Turin, pour mettre un terme à tous les ennuis, à tous les embarras que me suscitaient le roi, la loi et ma famille, bien décidé à ne pas reculer, quelle que pût être l’issue de mes démarches, j’avais commandé à Élie, resté par mes ordres à Turin, de vendre tous mes meubles et mon argenterie. En deux mois qu’il y employa sans perdre un moment, il m’avait réalisé plus de six mille sequins que je lui ordonnai de me faire passer en lettres de change sur Florence. Je ne sais par quel hasard il arriva qu’entre la lettre où il m’annonçait qu’il avait cette somme dans les mains et l’exécution de l’ordre que je lui donnai, en lui écrivant par la poste de m’envoyer ces lettres de change, il se passa plus de trois semaines durant lesquelles je ne reçus ni lettres de lui, ni argent, ni avis d’aucun banquier. Quoique peu défiant par caractère, un si étrange délai avait bien cependant de quoi éveiller mes soupçons dans des circonstances si urgentes et de la part d’un homme ordinairement si exact et si soigneux que l’était Élie. Il m’entra donc un violent soupçon dans le cœur, et mon imagination (toujours si prompte et si ardente) me fit aussitôt d’une perte possible une perte consommée. Pendant plus de quinze jours, je crus fermement que mes six mille sequins s’en étaient allés en fumée avec l’excellente opinion que j’avais toujours eue d’Élie et avec justice. Cela posé, je me trouvais, alors dans une position très-difficile. Mes arrangemens avec ma sœur n’étaient pas encore définitivement arrêtés, et chaque jour ayant à me défendre