Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/36

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prenant donc un peu de courage, je m’avance pour m’asseoir. Mais voici ma mère qui, me regardant d’un œil sévère, me demande si je puis véritablement m’asseoir à cette table, si j’ai fait tout ce que je devais faire, enfin si je n’ai rien à me reprocher ? Chacune de ces questions était un coup de poignard dans mon cœur. Mon visage attristé répondait assez pour moi ; mais mes lèvres ne pouvaient proférer une seule parole, et par aucun moyen on ne put m’amener, je ne dirai pas à accomplir, mais simplement à articuler, ou même à laisser comprendre la pénitence qui m’était imposée. Ma mère, de son côté, ne voulait pas la dire, pour ne pas trahir le confesseur qui m’avait trahi. Il en résulta que ma mère perdit, ce jour-là, la génuflexion qui lui revenait, moi mon dîner, et peut-être aussi l’absolution que le père Angelo m’avait donnée à de si dures conditions. Avec tout cela, je n’eus pas alors assez de pénétration pour deviner que le père Angelo avait concerté avec ma mère la pénitence qu’il m’infligerait. Mais, le cœur, en ceci, me servant beaucoup mieux que l’esprit, j’en conçus dès lors pour le susdit père une petite haine passablement profonde, et assez peu de penchant dans la suite pour ce sacrement, quoique, dans mes confessions suivantes, on ne s’avisât plus jamais de m’imposer une pénitence publique.