Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/440

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nous montrâmes nos passeports plus de quarante fois. Nous sûmes depuis que nous étions les premiers étrangers qui eussent quitté Paris et le royaume, depuis la catastrophe du 10 août. À chaque municipalité, sur la route, où il nous fallait aller présenter nos passeports, ceux qui les lisaient demeuraient frappés d’étonnement et de stupeur au premier coup d’œil qu’ils y jetaient. Ils étaient imprimés, mais on y avait effacé le nom du roi. On était peu ou mal informé des événemens de Paris, et on tremblait. Voilà sous quels auspices je sortis enfin de France, avec l’espoir et la résolution de ne jamais plus y rentrer. À Calais, on nous laissa entièrement libres de continuer jusqu’à la frontière de Flandre par Gravelines, et, au lieu de nous embarquer, nous préférâmes aller sur-le-champ à Bruxelles. Nous avions pris la route de Calais, parce que la guerre n’ayant point encore éclaté entre la France et les Anglais, nous pensâmes qu’il serait plus facile de passer en Angleterre qu’en Flandre, où la guerre se poussait vivement. En arrivant à Bruxelles, mon amie voulut se remettre un peu de la peur qu’elle avait eue, et passer un mois à la campagne, avec sa sœur et son digne beau-frère. Là nous apprîmes par ceux de nos gens que nous avions laissés à Paris, que, ce même lundi 20 août fixé d’abord pour notre départ, que j’avais par bonheur avancé de deux jours, cette même section qui nous avait délivré nos passeports s’était présentée en corps (voyez un peu la démence et la stupidité de ces gens-là) pour arrêter mon amie et