Page:Victor Alfieri, Mémoires, 1840.djvu/62

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grès, inattendus de notre écolier, qui jusque là n’avait été qu’une franche taupe. Mais je lui gardais religieusement le secret, plutôt encore parce que, de ma nature, j’étais peu communicatif, que pour la peur que j’avais de ce Cyclope. Cependant, après lui avoir fait de la sorte bon nombre de devoirs, ayant d’ailleurs plus de balles qu’il ne m’en fallait, ennuyé de ce travail, et aussi un peu dépité de le voir se parer de mes plumes, je laissai insensiblement se gâter l’ouvrage, et je finis même par y glisser de ces solécismes comme potebam ou autres semblables, qui vous font siffler de vos camarades et fouetter par vos maîtres. Celui-ci donc se voyant bafoué publiquement, et revêtu par force de sa peau naturelle, celle de l’âne, n’osa trop ouvertement se venger de moi ; il ne me força plus à travailler pour lui, et demeura furieux, mais enchaîné par la honte dont j’aurais pu le couvrir en révélant son secret ; jamais pourtant je ne le fis. Mais comme je riais sous cape quand j’entendais raconter aux autres l’effet que le potebam avait produit en pleine classe ! Aucun ne me soupçonnait d’y avoir eu la moindre part. Ce qui me contenait encore dans les bornes de la discrétion, c’était l’image de cette main levée sur ma tête, toujours présente à mes yeux, toujours prête à me faire payer tant de balles prodiguées en pure perte, et pour ne s’attirer que des reproches. J’appris dès lors par là que c’est une peur réciproque qui gouverne le monde.

1761. Au milieu de ces puériles et insipides vicissitudes, souvent malade et toujours chétif, j’atteignis encore