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SIX ANS AUX MONTAGNES ROCHEUSES

déjà noté cette particularité dans ses lettres : «  L’Indien, dit-il, est froid et délibère, étouffant avec soin la moindre agitation. Découvre-t-il, par exemple, que son ami est en danger d’être tué par quelque ennemi aux aguets, on ne le verra pas accourir précipitamment pour le lui annoncer, comme s’il était dominé par le sentiment de la crainte  ; il lui dira, paisiblement : « Mon frère, où vas-tu aujourd’hui  ? » Sur sa réponse, il ajoutera avec le même air d’indifférence : « Une bête féroce se trouve cachée sur ta route ». Cette allusion suffit, et son ami évite le danger avec autant de soin que s’il avait connu tous les détails relatifs au piège qu’on lui tendait. Si la chasse d’un sauvage a été infructueuse pendant plusieurs jours, et que la faim le dévore, il ne le fera pas connaître aux autres par son impatience ou son mécontentement  ; mais il fumera son calumet, comme si tout lui eût réussi à son gré : agir autrement serait manquer de courage et s’exposer à être flétri par le sobriquet le plus injurieux que puisse recevoir le sauvage, celui de vieille femme.

«  Dites à un sauvage que ses enfants se sont signalés dans les combats, qu’ils ont enlevé des chevelures : le père ne montre aucune émotion de joie et se borne à répondre : « Ils ont bien fait ». Si, au contraire, on lui apprend que ses enfants sont morts ou prisonniers, il se contente de dire : « C’est malheureux ». Quant aux circonstances de l’événement, il ne s’en informera que quelques jours après.  »

Rentré à Spokane, je m’informai des besoins de la mission, et je sus bien vite que c’était surtout pour les Indiens qu’on manquait de prêtres. Mon parti fut pris aussitôt et dès le retour du Supérieur Général je m’offris pour ce ministère. «  Je puis encore apprendre une langue, malgré mon âge, lui dis-je. — J’accepte bien volontiers,