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UNE PAROISSE AMÉRICAINE

d’hommes masqués entourèrent la prison  ; le shérif était absent  ; les portes de la prison furent enfoncées, le criminel amené à une petite distance et pendu haut et court à un poteau du télégraphe. Tout cela se passa avec le plus grand calme et dans un profond silence. Au moment de mourir, le malheureux implora la pitié de ses exécuteurs : « Tu n’as pas eu pitié de ce pauvre enfant, lui répondit-on  ; comment aurions-nous pitié de toi  ? » Et on le lança dans l’éternité. Quelques jours après je visitai le théâtre de ce drame lugubre.

Achevons notre course à travers ma paroisse. Saltese était mon dernier poste, mais j’avais encore 23 kilomètres à parcourir à travers la forêt vierge avant d’arriver à l’extrême limite de mon territoire, c’est-à-dire à Locckout, situé aux confins du Montana et de l’Idaho. Ma paroisse avait donc de De Smet à Loockout exactement 160 kilomètres d’étendue. Heureusement que ce vaste district était desservi par la petite ligne de chemin de fer dont j’ai parlé et qu’on désignait sous le nom de Ligne Cœur d’Alêne. Combien de fois ai-je pris ce train, allant de Frenchtown dans la montagne et revenant de la montagne à Frenchtown  ! Il se composait ordinairement d’un fourgon pour les bagages et la poste, d’un wagon de fumeurs où je montais d’habitude et d’un autre wagon pour dames et non-fumeurs, c’était, comme on le voit, un train léger  ; mais en hiver il se trouvait encore quelquefois trop lourd pour passer à travers les neiges amoncelées. Il m’arriva dans ce train plus d’une aventure comique. Un jour, par exemple, un pauvre Irlandais complètement ivre vint s’agenouiller devant moi au milieu du wagon archi-comble. Il me présentait un dollar sur la paume de sa main droite  ; de la main gauche il s’efforçait de faire le signe de la croix. «  Je suis à moitié fou, me disait-il  ;