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LA PHILOSOPHIE ANTÉSOCRATIQUE.

tenté par le doute ; il n’est pas resté dans le doute[1]. Suivant quelques auteurs[2] il aurait récusé explicitement le témoignage des sens, et déclaré que la raison seule peut connaître la vérité. Mais il semble plus probable que cette opposition entre les sens et la raison a été aperçue par ses successeurs, Parménide et Zénon d’Élée ; ils paraissent être les premiers qui l’aient expressément affirmée.

Parménide et Zénon d’Élée peuvent être comptés parmi les philosophes les plus dogmatistes qui furent jamais ; l’introduction du poème de Parménide que nous a conservée Sextus Empiricus[3]en fait foi. Pourtant ils exercèrent sur les destinées du scepticisme une influence plus grande peut-être que n’importe lequel des philosophes antésocratiques. Avec eux apparaît cette opposition du sensible et de l’intelligible qui devait plus tard tenir une si grande place dans les argumentations sceptiques. La connaissance sensible est déclarée insuffisante et trompeuse. La raison démontre que l’être est un, immobile, éternel ; les sens nous font voir partout la multiplicité, le changement » la naissance et la mort ; ils ne méritent donc aucune créance. On sait d’ailleurs comment Parménide opposait la vérité (τὰ πρὸς ἀλήθειαν) à l’apparence (τὰ πρὸς δόξαν) ; les sceptiques retiendront cette distinction, pour s’en tenir, il est vrai, à l’inverse de Parménide, à la seule apparence. Quant à Zénon, tous ses efforts tendaient à montrer que dans les apparences sensibles il n’y a que contradiction et absurdité.

Mais c’est surtout par l’invention de la dialectique que les éléates fournirent au scepticisme ses armes les plus redoutables. Bien que leur philosophie fût avant tout, comme l’a montré Zeller, une philosophie de la nature, la méthode qu’ils employèrent pouvait servir à de tout autres fins. Les premiers, prenant la notion de l’être dans un sens absolu, et appliquant avec une rigueur implacable le principe de contradiction, ils démontrèrent

  1. Cf. Karsten, op. cit., p. 184 ; Zeller, op. cit., t. II, p. 39.
  2. Aristocl. ap. Euseb. Praep. ev., xiv, 17, 1 ; 16, 12.
  3. M., VII, iii.