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ÆNÉSIDÈME. — SON SCEPTICISME.

On pourrait établir une comparaison analogue entre ces deux listes et celle de Favorinus[1]. Mais il paraît inutile d’insister davantage sur un point après tout peu important. Bornons-nous à remarquer que les dix tropes d’Ænésidème, sauf le dernier (encore s’agit-il des opinions communément admises, sans aucun caractère scientifique), ont pour objet de montrer l’insuffisance de la perception sensible. Il restait à faire un pas de plus et à montrer que la science elle-même, malgré ses prétentions, n’est pas plus heureuse. C’est ici que commence l’œuvre propre et vraiment originale d’Ænésidème.


II. C’est probablement sous l’influence de la nouvelle Académie, à laquelle nous avons des raisons de croire qu’il avait d’abord appartenu, et pour répondre aux exigences nouvelles de la philosophie de son temps, qu’Ænésidème fut amené à soumettre à une critique subtile et profonde les idées essentielles de la science. Après que des philosophes tels que Carnéade avaient proclamé l’impossibilité de la science et mis en lumière l’insuffisance de la connaissance sensible, le scepticisme, s’il voulait tenir son rang parmi les systèmes, ne pouvait plus se contenter d’énumérer des opinions ou des apparences contradictoires, et se complaire au jeu facile d’oppositions comme celles que nous trouvons dans les dix tropes. Il fallait pénétrer plus avant et montrer non seulement que la science n’était pas faite, mais qu’elle ne pouvait se faire. C’est ce qu’entreprit Ænésidème. Nous ne connaissons qu’une partie de ses arguments : ils donnent une haute idée de son œuvre. Il n’est pas impossible, d’ailleurs, que ce qui nous a été conservé fût l’essentiel : l’esprit subtil et clair de Sextus Empiricus était bien capable de faire ce choix judicieux. En tous cas, les trois lambeaux de doctrine qui sont arrivés jusqu’à nous se rejoignent aisément et forment un tout bien lié. Le sceptique établissait d’abord, en général, qu’il n’y a point et ne peut y avoir de vérité : c’était contester la possibilité même

  1. Pour Favorinus (Diog., II, 87}, le neuvième trope de Diogène est le huitième ; le dixième de Diogène devient le neuvième.