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INTRODUCTION. — CHAPITRE I.

précision, même un esprit scientifique dont les sophistes n’eurent pas même l’idée.

Enfin le but que se proposent les uns et les autres, l’esprit dont ils sont animés, sont tout autres ; et c’est de là que dérivent toutes les différences que nous venons d’indiquer. Les sophistes sont surtout préoccupés des conséquences et des applications qu’on peut tirer du scepticisme ; leur esprit est tout entier tourné vers la pratique. Ils sont, avant tout, des professeurs de rhétorique ou de politique ; la théorie n’a d’intérêt pour eux que si elle conduit à un art, et quand ils se sont, pour ainsi dire, mis en règle avec elle, ils ont hâte d’arriver aux applications. Ils ne font que traverser le scepticisme. Ils renoncent à poursuivre la vérité plutôt qu’ils ne désespèrent de la trouver ; ils y renoncent sans chagrin, et pleins de confiance en eux-mêmes, ils se jettent avec ardeur dans la vie publique ; là ils ne doutent de rien. Le doute n’est pour eux qu’un moyen. Il est une fin pour Pyrrhon. Les sophistes sont des habiles ; Pyrrhon sera un philosophe. C’est par dégoût de la vie active, par fatigue de la dispute, dont il aura reconnu la stérilité, par esprit de renoncement qu’il arrivera au doute. Ni lui ni Timon, une fois que ce dernier sera devenu son disciple, ne tireront aucun profit de leur enseignement ; ni l’un ni l’autre ne brigueront les fonctions politiques ; ils vivront comme des sages, dans le repos et le silence.

Cette opposition se marque clairement dans l’attitude que les uns et les autres prennent à l’égard des croyances populaires. Déjà Protagoras, malgré sa réserve habituelle, exprime des doutes sur l’existence des dieux ; Prodicus fait plus que d’en douter : il l’explique par une illusion. Leurs successeurs ont encore moins de ménagements ; ils ne s’occupent que de renverser les idées reçues : en religion comme en morale et en politique, ils sont des révolutionnaires. Les pyrrhoniens seront des conservateurs. Leur constante préoccupation sera de ne pas toucher aux croyances populaires et, comme ils diront, de ne pas bouleverser la vie ; Pyrrhon sera grand prêtre. Ils affecteront à