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LES SUCCESSEURS D’ÆNÉSIDÈME. — AGRIPPA.

sent, et l’intelligible à l’intelligence ; car s’ils étaient connus tels qu’ils sont en eux-mêmes, abstraction faite de l’être en qui ils sont représentés, ils ne donneraient lieu à aucune controverse.

Non contents de cette réduction des raisons de douter à cinq, les sceptiques, au témoignage de Sextus[1], avaient essayé de simplifier encore, et de condenser leur argumentation en une formule plus concise. Deux tropes auraient suffi. Toute chose, disaient-ils, est comprise par elle-même ou par autre chose. Que rien ne soit compris par soi-même, c’est ce que prouvent les discussions que soutiennent les dogmatistes, aussi bien sur les choses sensibles que sur les choses intelligibles ; et on ne peut mettre un terme à la querelle, car ni le sensible, ni l’intelligible, puisqu’ils sont l’un et l’autre révoqués en doute, ne peuvent servir à fixer le jugement. Rien non plus ne peut être compris par autre chose ; car cette autre chose elle-même en exigerait une autre, et c’est le progrès à l’infini.

Cette simplification n’est qu’apparente ; on ne peut expliquer les deux tropes, et les justifier, qu’à la condition d’introduire les précédents, sauf celui de la relativité. Mais c’est là un argument capital, auquel les vrais sceptiques ne devaient pas renoncer volontiers, et une liste qui l’omet est incomplète.

Les cinq tropes d’Agrippa, nous dit Sextus[2] ne sont pas destinés à exclure les dix tropes d’Ænésidème ; ils servent seulement à introduire de la variété dans les arguments qui mettent à nu la vanité du dogmatisme. Toutefois, en y regardant de

  1. P., I, 178. Saisset (op. cit., p. 225) suppose que l’auteur de cette nouvelle réduction est Agrippa ; mais il n’apporte aucune preuve positive à l’appui de cette assertion. Logiquement, il n’y a pas non plus de raisons pour admettre que l’auteur des cinq tropes les a réduits à deux. Il est plus naturel de penser que cette réduction est l’œuvre d’un sceptique ultérieur, peut-être, comme le supposent Ritter et Zeller, de Mënodote. (V. Zeller, op. cit., t. V, p. 38, 4).
  2. P., I, 177. Après Agrippa, les cinq tropes furent communément employés par les sceptiques, et on les verra reparaître sous bien des formes diverses dans la longue argumentation de Sextus. On les retrouve aussi dans le résumé de Diogène (IX, 90 et seq.). Il faut admettre avec Hirzel, p. 137, que dans ce passage, ἀνῄρουν δ’οὕτοι, ce dernier mot désigne, non les sceptiques en général, mais les νεώτεροι dont il a été question un peu plus haut.