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LIVRE IV. — CHAPITRE II.

dans un résumé aussi bref que possible, la vraie physionomie de l’ensemble.


I. Le scepticisme consiste à comparer et à opposer entre elles, de toutes les manières possibles, les choses que les sens perçoivent, et celles que l’intelligence conçoit[1]. Trouvant que les raisons ainsi opposées ont un poids égal (ἰσοσθένεια) le sceptique est conduit à la suspension du jugement (ἐποχή) et à l’ataraxie.

Cette suspension du jugement ne doit pas s’entendre en un sens trop large. Lorsqu’il y est contraint par une sensation qu’il subit, le sceptique ne s’interdit pas d’affirmer. S’il a chaud ou froid, il ne dira pas : je crois que je n’ai pas chaud ou froid[2]. Il ne doute jamais des phénomènes[3]. Mais s’il s’agit d’une de ces choses cachées (ἄδηλα) que les sciences prétendent connaître[4], il doute toujours.

Je ne sais rien[5] ; je ne définis rien[6] ; pas plutôt ceci que cela[7] ; peut-être oui, peut-être non[8] ; tout est incompréhensible[9] ; voilà les formules dont il se sert pour exprimer son doute, à moins que, les trouvant encore trop affirmatives, il ne préfère recourir à des interrogations, et dire : pourquoi ceci plutôt que cela[10] ? Mais dans tous les cas, il faut bien entendre que jamais il n’affirme rien, au sens absolu du mot : il dit seulement ce qui lui paraît. Ainsi, quand il dit qu’il ne sait rien, ou que tout est incompréhensible, ou qu’à toute raison s’oppose une raison d’égale valeur, il ne faudrait pas lui reprocher de se contredire en affirmant une proposition qu’il tient pour certaine. Il ne la tient pas pour absolument certaine : la chose lui paraît ainsi, mais peut-être est-elle

  1. P., I, 8.
  2. P., I, 13.
  3. P., I, 190, 198, 200.
  4. P., I, 13.
  5. P., I, 201.
  6. P., I, 197.
  7. P., I, 188.
  8. P., I, 194.
  9. P., I, 200.
  10. P., I, 189.