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LE SCEPTICISME. — PARTIE DESTRUCTIVE.

ce sont toutes les parties qui forment le tout, le tout par lui-même n’est plus rien, et par suite il n’y a plus même de parties ; tout et parties sont choses corrélatives comme le haut et le bas, la droite et la gauche.

Mêmes difficultés à propos du corps[1]. On définit le corps une chose qui a trois dimensions : longueur, largeur, profondeur. Mais la longueur n’est rien : car la longueur, c’est la ligne, et la ligne, disent les mathématiciens, c’est un point qui s’écoule. Mais le point n’existe pas : il n’est ni corporel, car il n’a pas de dimensions, ni incorporel, car comment pourrait-il engendrer des corps ? Ce qui engendre n’agit que par contact, et ce qui n’a pas de parties ne peut être en contact avec rien. Le point ne peut même pas former la ligne en s’écoulant ; car, s’il demeure au même endroit, il reste un point, et ne devient pas une ligne ; s’il passe d’un endroit dans un autre, abandonne-t-il entièrement le lieu qu’il quitte ? Dans le lieu nouveau qu’il occupe, il est un point, et non une ligne. Ne l’abandonne-t-il pas, et occupe-t-il à la fois le lieu ancien et le lieu nouveau ? Si ce lieu est indivisible, le point n’est toujours qu’un point ; s’il ne l’est pas, le point sera divisible comme lui, et ne sera plus même un point.

La ligne n’est pas davantage une série de points, car si les points ne se touchent pas, on ne peut dire qu’ils forment une seule ligne : et comment se toucheraient-ils, n’ayant pas de parties, et ne pouvant se toucher sans se confondre ?

On démontre de même que la surface et le solide sont choses inintelligibles.

Il nous semble inutile, après avoir résumé les arguments sceptiques sur les points les plus importants, de poursuivre cette exposition dans le détail des autres questions. C’est toujours la même méthode : ce sont toujours les mêmes procédés, on pourrait dire les mêmes artifices dialectiques. Ce que nous avons dit suffit amplement à en donner l’idée. Nous nous bor-

  1. M., IX, 368.