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SOCRATE ET LES SOCRATIQUES.

Ils en sont si près, que Sextus s’est cru obligé de marquer les différences qui séparent les deux doctrines[1]. Les cyrénaïques, dit-il, affirment que les objets extérieurs ne peuvent être perçus ; le sceptique n’en sait rien. La différence, on le voit, se réduit à peu de chose.

Mais les cyrénaïques se bornaient à indiquer cette théorie sans y insister beaucoup. Elle n’est pour eux qu’un moyen de justifier leur doctrine capitale, celle qui prétend que le plaisir est le seul bien : ce n’est pas encore le véritable scepticisme.


III. Il serait ridicule de chercher des traces de scepticisme chez Platon et Aristote. Quelle affinité peut-il y avoir entre les sceptiques et ces grands philosophes qui, dans toutes leurs œuvres, parlent avec une si fière confiance, des choses en soi, de l’être en tant qu’être, du bien, absolu et immuable ? Jamais il ne leur est venu à l’esprit qu’on pût vivre dans le doute et s’en contenter ; et on les aurait bien surpris si l’on eût exprimé devant eux les formules du pyrrhonisme. La seule forme du scepticisme qu’ils aient connue est celle, non qui doute de tout, mais qui nie tout, c’est-à-dire un dogmatisme retourné. On sait de quelle manière ils l’ont traitée. Il suffit de rappeler ici la vigoureuse réfutation de Protagoras dans le Théétète, celle de la théorie du plaisir dans le Philèbe ; le Gorgias et le Sophiste achèvent de nous montrer avec la dernière clarté ce que Platon pensait des sophistes, et quel cas il faisait de leurs arguties. Quant à Aristote, s’il a pris la peine, dans sa Réfutation des sophismes, de résoudre quelques-unes des difficultés soulevées par eux, c’est tout au plus si dans les revues générales des philosophes antérieurs par lesquelles il aime à commencer ses grands ouvrages, il daigne mentionner quelquefois les thèses des plus célèbres sophistes. Il se contente de formuler nettement, d’établir magistralement le principe de contradiction ; il ne fait pas à Protagoras et à Gorgias l’honneur de les discuter comme un Parménide ou un Pythagore.

  1. P., I, 215