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LIVRE IV. — CHAPITRE IV.

coordination des concepts. Tel est le sens, telle est la portée du probabilisme. On le verrait plus clairement si les idées de Carnéade étaient mieux connues, si ses négations n’avaient fait grand tort à la partie positive de son système.


III. Il y a, selon nous, des vues très justes dans cette pénétrante et ingénieuse comparaison. Il est vrai, et nous croyons l’avoir montré par des raisons purement historiques, qu’il y a une différence d’origine entre le scepticisme et la nouvelle Académie. Le pyrrhonisme a des affinités avec la philosophie de Démocrite. La nouvelle Académie reconnaît Platon et Socrate pour ses ancêtres. C’est par des chemins différents que pyrrhoniens et académiciens sont arrivés au même point, à peu près comme les cyrénaïques de leur côté, et par une voie qui leur est propre, aboutissaient à des conclusions analogues. Les deux doctrines sont comme deux fleuves qui se rejoignent, mais dont les eaux, même après la rencontre, demeurent distinctes.

En effet, de cette différence d’origine en résultent deux autres dans l’esprit général des deux écoles, et dans l’attitude qu’elles prennent à l’égard de leur ennemi commun, le dogmatisme. D’abord, si nous avons bien interprété la philosophie de Pyrrhon, c’est par lassitude, par dégoût, par dédain de la dialectique et de ses infinies subtilités qu’il est arrivé au renoncement sceptique. Au contraire, c’est par le goût passionné, et l’habitude invétérée de la dispute, c’est par amour de la dialectique, que les académiciens ont été amenés à combattre le dogmatisme. Les traditions de leur école, autorisées par les grands noms de Socrate, de Platon et d’Aristote, leur faisaient un devoir d’examiner sur chaque question le pour et le contre. À propos des doctrines éteintes, des philosophies mortes, il leur fallait prendre le contre-pied de tout ce qui avait été affirmé, et découvrir le point faible de toute opinion. À combien plus forte raison ne devaient-ils pas appliquer cette méthode, lorsqu’ils avaient devant eux une doctrine vivante, qui se jetait dans la lutte avec toute l’ardeur et la présomption de la jeunesse ? Les nouveaux académi-