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LIVRE IV. — CHAPITRE IV.

yeux de leurs juges, le mérite d’être dogmatistes. Et on n’a su aucun gré aux académiciens des bonnes raisons qu’ils invoquaient, parce qu’ils se donnaient le tort de s’attaquer à des dogmatistes. On les appelle des disciples dégénérés de Platon. Il faut bien le dire pourtant : Platon, s’il eût vécu, n’eût pas vu d’un œil favorable le stoïcisme. Ce sensualisme lui eût rappelé celui de Protagoras ; jamais il n’eût admis que les sens puissent embrasser, comprendre la véritable réalité ; il aurait appelé les stoïciens, comme les matérialistes de son temps, des « fils de Cadmus ». Carnéade et Clitomaque étaient, quoi qu’on puisse dire, dans la vraie tradition platonicienne, lorsqu’ils s’élevaient avec tant de vigueur contre les thèses de Chrysippe. Ils étaient encore fidèles à l’esprit de leur école, quand, renonçant à saisir la réalité matérielle, ils cherchaient dans le sujet, dans l’accord des représentations, ce qu’on peut connaître de la vérité. Socrate aussi cherchait dans les concepts la vérité que les sens n’atteignent pas : les idées de Platon, l’acte d’Aristote n’étaient pas non plus des réalités matérielles. Sans doute, car il ne faut rien exagérer, Carnéade et Clitomaque s’éloignaient beaucoup du dogmatisme idéaliste de leurs maîtres : ils leur ressemblaient du moins puisqu’ils étaient idéalistes jusque dans le scepticisme. Leur doctrine est à vrai dire une protestation contre le sensualisme stoïcien. Par là encore ils diffèrent notablement des sceptiques. En leur qualité de médecins, les sceptiques de la dernière période ont un penchant marqué vers le matérialisme épicurien : il arrive à Sextus Empiricus de parler comme un véritable épicurien.

Maccoll nous paraît avoir bien justement caractérisé la nouvelle Académie lorsqu’il l’appelle une école de juste milieu. Cette assertion est exacte à la fois au point de vue moral et au point de vue logique.

En morale, Carnéade et Clitomaque ressemblent aux sceptiques lorsqu’ils rejettent toutes les théories sur le souverain bien, dont ils ont vu les exagérations, et qu’ils croient incapables de tenir leurs promesses. Mais les sceptiques à leur tour