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LIVRE I. — CHAPITRE III.

pas ceci plutôt que cela, ou je n’affirme pas plutôt ceci que cela ? je m’abstiens de choisir ou d’affirmer ? Il est malaisé, ou plutôt impossible pour nous de décider : ici le point de vue logique et le point de vue moral se touchent de si près qu’ils se confondent. Accordons néanmoins, puisque aussi bien c’est la tradition la plus accréditée, que ces formules doivent être entendues au sens logique.

Mais voici que des renseignements, malheureusement insuffisants et incomplets, mais d’une authenticité incontestable, nous sont fournis par les vers de Timon, et permettent de résoudre la question. Timon nous représente Pyrrhon comme évitant les discussions, et échappant aux subtilités des sophistes[1]. Ce qu’il loue en lui, c’est sa modestie, c’est la vie tranquille[2] qu’il a menée, et qui le rend égal aux dieux ; c’est la sérénité de son âme, et le soin avec lequel il a évité les vains fantômes de la prétendue science. Le même caractère se retrouve d’ailleurs chez les successeurs immédiats de Pyrrhon. Ce qu’on voit reparaître le plus souvent dans les fragments mutilés de Timon, c’est l’horreur des discussions vaines et interminables où se complaisaient les philosophes ; il leur reproche sans cesse leurs criailleries et leurs disputes, surtout leur morgue et leurs prétentions ; il mesure en quelque sorte la valeur des hommes à leur absence de morgue et Xénophane, qu’il loue cependant, n’en est qu’à demi exempt[3] (ὐπάτυφος). Ainsi encore Philon d’Athènes, disciple de Pyrrhon, vit loin des disputes d’écoles, et ne se soucie pas d’y acquérir de la réputation[4]. Euryloque, autre disciple de Pyrrhon,

  1. Mullach, vers 127 et suiv., t. I, p. 95 :

    Ὦ γέρον, ὦ Πύρρων, πῶς ἢ πόθεν ἒκδυσιν εὗρες
    λατρείης δοξῶν τε κενοφροσύνης τε σοφιστῶν ;

  2. Ibid., vers 147 :

    . . . . . . . . . . ῥῇστα μεθ’ ἡσυχίης
    αἰεὶ ἀφροντίστως καὶ ἀκινήτως κατὰ ταῦτα
      μὴ πρόσεχ’ ἰνδαλμοῖς ἡδυλόγου σοφίης.

    Nous adoptons pour ce dernier vers la correction de Bergk. (Voir Wachsmuth, De Timons Phliasio, Leipzig, 1859, p. 11.)

  3. Mullach, vers 29. Pyrrhon au contraire (vers 122) est appelé ἄτυφος.
  4. Ibid., vers 80.