Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/166

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Des soldats qui vont vite à travers les campagnes,
Qui portent sous leurs bras des fusils renversés,
Et passent en silence et leurs fronts abaissés,
Ne es engagez pas à cesser leur retraite ;
Ils vous refuseraient en secouant la tête :
Car ils ont tous besoin, mon père, ainsi que moi,
De retremper leur âme aux sources de la foi.
Nul ne sait s’il succombe ou fidèle ou parjure,
Et si le dévouement ne fut pas une injure.
Vous, habitant sacré du mont silencieux,
Instruit des saintes morts que préfèrent les Cieux,
Jugez-nous et parlez… Vous savez quelle proie
Le peuple osa vouloir dans sa féroce joie ?
Vous le savez, un Roi ne porte pas des fers
Sans que leur bruit s’entende au bout de l’univers.
Nous qui pensions encore, avant l’heure où nous sommes,
Qu’un serment prononcé devait lier les hommes,
Partant avec le jour, qui se levait sur nous
Brillant, mais dont le soir n’est pas venu pour tous,
Au palais, dont le peuple envahissait les portes,
En silence, à grands pas, marchaient nos trois cohortes :
Quand le Balcon royal à nos yeux vint s’offrir,
Nous l’avons salué, car nous venions mourir.
Mais comme à notre voix il n’y paraît personne,
Aux cris des révoltés, à leur tocsin qui sonne,
A leur joie insultante, à leur nombre croissant,
Nous croyons le Roi mort, parce qu’il est absent ;
Et, gémissant alors sur de fausses alarmes,
Accusant nos retards, nous répandions des larmes.