Page:Vigny - Œuvres complètes, Poésies, Lemerre, 1883.djvu/72

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Le cèdre jusqu’au nord vint écraser le saule ;
Les ours noyés, flottants sur les glaçons du pôle,
Heurtèrent l’éléphant près du Nil endormi,
Et le monstre, que l’eau soulevait à demi,
S’étonna d’écraser, dans sa lutte contre elle,
Une vague où nageaient le tigre et la gazelle.
En vain des larges flots repoussant les premiers,
Sa trompe tournoyante arracha les palmiers ;
Il fut roulé comme eux dans les plaines torrides,
Regrettant ses roseaux et ses sables arides,
Et de ses hauts bambous le lit flexible et vert,
Et jusqu’au vent de flamme exilé du désert.

Dans l’effroi général de toute créature,
La plus féroce même oubliait sa nature ;
Les animaux n’osaient ni ramper ni courir,
Chacun d’eux résigné se coucha pour mourir.
En vain fuyant aux cieux l’eau sur ses rocs venue,
L’aigle tomba des airs, repoussé par la nue.
Le péril confondit tous les êtres tremblants.
L’homme seul se livrait à des projets sanglants.
Quelques rares vaisseaux qui se faisaient la guerre,
Se disputaient longtemps les restes de la terre :
Mais, pendant leurs combats, les flots non ralentis
Effaçaient à leurs yeux ces restes engloutis.
Alors un ennemi plus terrible que l’onde
Vint achever partout la défaite du monde ;
La faim de tous les cœurs chassa les passions :
Les malheureux, vivants après leurs nations,