Page:Vigny - Journal d’un poète, éd. Ratisbonne, 1867.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
JOURNAL D’UN POÈTE

que amèrement. C’est un grand malheur que de porter avec soi dans l’avenir son maladroit critique comme un ballon sa nacelle.

———

Plus je vais, plus je m’aperçois que la seule chose essentielle pour les hommes, c’est de tuer le temps. Dans cette vie dont nous chantons la brièveté sur tous les tons, notre plus grand ennemi, c’est le temps, dont nous avons toujours trop. À peine avons-nous un bonheur, ou l’amour, ou la gloire, ou la science, ou l’émotion d’un spectacle, ou celle d’une lecture, qu’il nous faut passer à un autre. Car que faire ? C’est là le grand mot.

———

Les rois font des livres à présent, tant ils sentent bien que le pouvoir est là. — Il est vrai qu’ils les font mauvais.

———

Les gouvernements regardent la littérature comme une colonne inutile où leur jugement est écrit : ils voudraient l’empêcher de s’élever.

———