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Ainsi qu’un jeune enfant, s’attachant aux roseaux,
Tente de faibles cris étouffés sous les eaux[1],
Il la vit prête à fuir vers les cieux de lumière[2].
Comme un tigre éveillé bondit dans la poussière.
Aussitôt en lui-même, et plus fort désormais.
Retrouvant cet esprit qui ne fléchit jamais,
Ce noir esprit du mal qu’irrite l’innocence.
Il rougit d’avoir pu douter de sa puissance.
Il rétablit la paix sur son front radieux,
Rallume tout à coup l’audace de ses yeux.
Et longtemps en silence il regarde et contemple
La victime du Ciel qu’il destine à son temple ;
Comme pour lui montrer qu’elle résiste en vain.
Et s’endurcir lui-même à ce regard divin.
Sans amour, sans remords, au fond d’un cœur de glace.
Des coups qu’il va porter il médite la place[3].
Et, pareil au guerrier qui, tranquille à dessein,
Dans les défauts du fer cherche à frapper le sein.
Il compose ses traits sur les désirs de l’Ange ;
Son air, sa voix, son geste et son maintien, tout change,
Sans venir de son cœur, des pleurs fallacieux
Paraissent tout à coup sur le bord de ses yeux.
La Vierge dans le Ciel n’avait pas vu de larmes[4],
Et s’arrête ; un soupir augmente ses alarmes[5].
Il pleure amèrement comme un homme exilé,

  1. A. Chènier, Hylas (texte de 1819) :

    Le jeune enfant de loin croit entendre sa voix,
    Et du fond des roseaux, pour adoucir sa peine,
    Lui répond d’une voix inentendue et vaine.

  2. Var : M1, 1er main, et vit sa faute entière 2e main, jusqu’où luit la (corr. : vers les cieux de) lumière O, A, B, cieux.
  3. Var : M1, il médite (corr. : désigne)
  4. Var : B-C2, ciel
  5. Var : M1, 1er main, S’arrête et son silence augmente ses alarmes 2e main, S’arrête, un long soupir augmente ses alarmes 3e main, texte actuel.