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poèmes antiques et modernes

Qu’il avait dans la voix une douceur étrange[1],
Et que c’était un prince ou que c’était un ange.
Il se souvint encor qu’un vieux Bénédictin,
S’étant acheminé vers la tour, un matin,
Pour rendre un vase d’or tombé sur son passage,
N’était pas revenu de ce triste voyage :
Sur quoi, l’abbé du lieu pour toujours défendit
Les entretiens touchant le prisonnier maudit !
« Nul ne devait sonder la récente aventure[2] ;
» Le ciel avait puni la coupable lecture[3]
» Des mystères gravés sur le vase indiscret[4]. »
Le temps fit oublier ce dangereux secret.

  1. Var : M, 1er main, Que de grâces c’était le plus parfait mélange, 2e main, P1, Que de vertus c’était un céleste mélange,
  2. Var : M, P1, A, « Cet homme de l’enfer était une imposture ;
  3. Var : M, 1er main, La mort avait suivi 2e main, texte actuel.
  4. Voltaire, Siècle de Louis XIV, ch. xxv : Un jour, le prisonnier écrivit avec un couteau sur une assiette d’argent et jeta l’assiette par la fenêtre vers un bateau qui était au rivage, presque au pied de la tour. Un pêcheur, à qui ce bateau appartenait, ramassa l’assiette et la rapporta au gouverneur. Celui-ci étonné demanda au pêcheur : « Avez-vous lu ce qui est écrit sur cette assiette, et quelqu’un l’a-t-il vue entre vos mains ? — Je ne sais pas lire, répondit le pécheur. Je viens de la trouver, personne ne l’a vue. » Ce paysan fut retenu jusqu’à ce que le gouverneur fût bien informé qu’il n’avait jamais lu, et que l’assiette n’avait été vue de personne. « Allez, lui dit-il, vous êtes bien heureux de ne pas savoir lire ». — Mémoires de Richelieu, t. III, p. 98 (extrait du Voyage de Provence de l’abbé Papon, Paris, 1780, p. 247) : Je trouvai dans la citadelle un officier de la compagnie franche, âgé de 79 ans ; il me dit que son père, qui servait dans la même compagnie, lui avait plusieurs fois raconté qu’un frater aperçut un jour sous la fenêtre du prisonnier quelque chose de blanc qui flottait sur l’eau ; il l’alla prendre et l’apporta à M. de Saint-Mars ; c’était une chemise très fine, pliée avec assez de négligence, et sur laquelle le prisonnier avait écrit d’un bout à l’autre. M. de Saint-Mars, après l’avoir dépliée, et avoir lu quelques lignes, demanda au frater, d’un air fort embarrassé, s’il n’avait pas eu la curiosité de lire le contenu. Celui-ci lui protesta plusieurs fois qu’il n’avait rien lu ; mais deux jours après, il fut trouvé mort dans son lit.