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poèmes antiques et modernes

» Dieu lui-même l’a dit : L’homme né de la femme[1]
» Ne vit que peu de temps, et c’est dans les douleurs[2].
» Ce monde n’est que vide et ne vaut pas des pleurs.
» Qu’aisément de ses biens notre âme est assouvie !
» Me voilà, comme vous, au bout de cette vie :
» J’ai passé bien des jours, et ma mémoire en deuil[3]
» De leur peu de bonheur n’est plus que le cercueil.
» C’est à moi d’envier votre longue souffrance.
» Qui d’un monde plus beau vous donne l’espérance ;
» Les anges à vos pas ouvriront le saint lieu :
» Pourvu que vous disiez un mot à votre Dieu,
» Il sera satisfait. » Ainsi, dans sa parole[4],
Mêlant les saints propos du livre qui console[5],
Le vieux prêtre engageait le mourant à prier,
Mais en vain : tout à coup on l’entendit crier,
D’une voix qu’animait la fièvre du délire.
Ces rêves du passé : Mais enfin je respire[6][7] !

  1. Var : P1, A, en note : Job, chap. XIV, v. 1.
  2. Var : M, Ne vit que peu de temps abreuvé de (corr. : et c’est dans les) douleurs.
  3. Var : M, J’ai vécu (corr. : passé)
  4. Var : M, 1er main, Par ses paroles saintes 2e main, texte actuel.
  5. Var : M, Remplis biffé, remplacé par : Mêlant les
  6. Pierre Lebrun, Marie Stuart (1820), III, 1. (Dans cette scène, qui suit d’assez prés le texte de Schiller, Marie, échappée pour un moment de sa prison, explique à sa suivante les impressions qui l’agitent) :

    Ah ! laisse-moi jouir
    D’un bonheur que je crains de voir s’évanouir.
    Laisse mes libres pas errer à l’aventure.
    Je voudrais m’emparer de toute la nature.
    Combien le jour est pur ! Que le ciel est serein !
    Ne sommeillé-je pas ? N’est-ce qu’un songe vain ?
    À mon cachot obscur suis-je en effet ravie ?
    Suis-je de mon tombeau remontée à la vie ?
    Ah ! d’un air libre et pur laisse-moi m’enivrer…
    Et si ce n’est qu’un songe, ah ! laisse-moi du moins.

  7. Var : M, 1er main, Ouvrez-moi : je respire. 2e main, Vous m’ouvrez ? je respire. 3e main, À la fin je respire. 4e main, Mais enfin je respire.