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poèmes antiques et modernes

Nous l’avons salué, car nous venions mourir[1].
Mais comme à notre voix il n’y paraît personne,
Aux cris des révoltés, à leur tocsin qui sonne,
À leur joie insultante, à leur nombre croissant,
Nous croyons le Roi mort parce qu’il est absent ;
Et, gémissant alors sur de fausses alarmes,
Accusant nos retards, nous répandions des larmes.
Mais un bruit les arrête, et, passé dans nos rangs,
Fait presque de leur mort repentir nos mourants.
Nous n’osons plus frapper, de peur qu’un plomb fidèle
N’aille blesser le Roi dans la foule rebelle.
Déjà, le fer levé, s’avancent ses amis[2],
Par nos bourreaux sanglants à nous tuer admis.
Nous recevons leurs coups longtemps avant d’y croire,
Et notre étonnement nous ôte la victoire.
En retirant vers vous nos rangs irrésolus,
Nous combattions toujours, mais nous ne pleurions plus[3]. »


  1. Les gardes réunis au Prado étaient entrés dans la ville divisés en trois corps, qui, battus ou découragés, se retirèrent vers le palais et y rejoignirent les deux bataillons de service (Journal des Débats du 15 juillet 1822).
  2. Var : O1, Déjà nos feux éteints nous font voir ses amis
  3. Les Cortès exigeaient que la garde royale se rendit à discrétion : « Les deux bataillons du Palais se soumirent à cette condition, mais les gardes venus du Prado ne purent supporter l’humiliation de se rendre à discrétion. Cette affreuse condition a rendu à ces infortunés le courage du désespoir ; ils se sont ralliés, ont forcé le passage, et traversé le Mançanarez. La cavalerie les a poursuivis jusqu’au village de Bondilla et leur a tué ou blessé 200 hommes : ils en avaient perdu un nombre à peu prés égal dans les rues de Madrid… » — du 8 : « On apprend aujourd’hui que les débris de la Garde se sont reformés, et qu’ils vont se réunir aux royalistes de Siguenza. Les nouvelles de la Catalogne annoncent des succès du Trappiste » (Journal des Débats du 15 juillet 1822).