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poèmes antiques et modernes

Comme un bras que l’on coupe, il fut frappé de mort[1].
Car Paris l’éternel de leurs efforts se joue,
Et le moyeu divin tournerait sans la Roue ;
Quand même tout voudrait revenir sur ses pas,
Seul il irait : lui seul ne s’arrêterait pas,
Et tu verrais la force et l’union ravie
Aux rayons qui partaient de son centre de vie[2].
— C’est donc bien, Voyageur, une Roue en effet.
Le vertige parfois est prophétique. — Il fait
Qu’une Fournaise ardente éblouit ta paupière ?
C’est la Fournaise aussi que tu vois. — Sa lumière
Teint de rouge les bords du ciel noir et profond ;
C’est un feu sous un dôme obscur, large et sans fond ;
Là, dans les nuits d’hiver et d’été, quand les heures
Font du bruit en sonnant sur le toit des demeures,
Parce que l’homme y dort, là veillent des Esprits[3],
Grands ouvriers d’une œuvre et sans nom et sans prix.
La nuit, leur lampe brûle, et, le jour, elle fume ;
Le jour, elle a fumé, le soir, elle s’allume,
Et toujours et sans cesse alimente les feux
De la Fournaise d’or que nous voyons tous deux,
Et qui, se reflétant sur la sainte coupole,
Est du globe endormi la céleste auréole.
Chacun d’eux courbe un front pâle, il prie, il écrit,
Il désespère, il pleure ; il espère, il sourit ;

  1. A. de Vigny, lettre à Mlle Camilla Maunoir, 21 décembre 1838 : « Oui, Lyon pourrait être un exemple de ces rouages brisés, mais lorsque j’écrivis Paris, en 1831, cette révolte [il s’agit de l’insurrection des canuts de Lyon, 21 novembre 1831] n’avait pas éclaté. Je pensais alors aux Girondins fédéralistes, qui voulurent inutilement séparer le mouvement des provinces de celui de Paris. Cette centralisation n’a fait que croitre et se fortifier depuis. »
  2. Voir ci-dessus, p. 233, n. 1.
  3. Var : O, B-C3, esprits,