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Péril plus grand ! peut-être il lui faudrait entendre
Quelque chant d’abandon voluptueux et tendre :
Quelque regret du Ciel, un récit douloureux[1]
Dit par la douce voix d’un Ange malheureux[2].
Et même, en lui prêtant une oreille attendrie.
Il pourrait oublier la céleste patrie,
Se plaire sous la nuit, et dans une amitié
Qu’auraient nouée entre eux les chants et la pitié.
Et comment remonter à la voûte azurée,
Offrant à la lumière éclatante et dorée
Des cheveux dont les flots sont épars et ternis,
Des ailes sans couleurs, des bras, un col brunis,
Un front plus pâle, empreint de traces inconnues
Parmi les fronts sereins des habitants des nues[3],
Des yeux dont la rougeur montre qu’ils ont pleuré.
Et des pieds noirs encor d’un feu pestiféré[4] ?



Voilà pourquoi, toujours prudents et toujours sages.
Les Anges de ces lieux redoutent les passages.


  1. Var : M, 1er main, Quelque regret du ciel, d’un ami (corr. : où sont les) bienheureux 2e main, texte actuel.
  2. Ce « récit douloureux » ne serait-il pas l’un de ceux que font les trois anges déchus qui prennent tour à tour la parole dans le poème de Moore ? Le premier a été entraîné par sa passion sensuelle pour une fille de la terre ; le second s’est perdu par désir de savoir ; le troisième est passé insensiblement de l’amour du Créateur à l’amour de la créature.
  3. Moore, A. d. A., p. 15 : La lumière d’Éden lui restait encore, mais altérée, mais ternie. Ce n’est pas l’amour seul qui dans sou passage rapide avait obscurci son front ; d’autres joies plus terrestres y avaient laissé leur empreinte profonde.
  4. Entre 270 et 271 : O, pas de filet.